Truchon, Gladu et l’euthanasie des personnes qui ne sont pas en fin de vie.

Dans les enjeux d’actualité de cette infolettre, nous avons considéré les dangers de différents projets qui ont cours, ceux-ci ayant pour but d’élargir le critère de qualification pour l’euthanasie afin d’inclure désormais les gens souffrants de démence (par demande anticipée), les mineurs « matures » (avec ou sans le consentement ou l’avis des parents) et enfin pour ceux dont un trouble mental est le seul problème médical invoqué.

Malheureusement, dû au procès initié par M. Jean Truchon et Mme Nicole Gladu et qui se tient actuellement à la Cour supérieur du Québec, nous faisons face à quelque chose de quantitativement pire : l’euthanasie pour les personnes qui ne sont pas en état de « fin de vie » (ce qui est un prérequis dans la loi québécoise) ou encore contraire au critère de la loi canadienne de « mort naturelle raisonnablement prévisible ». Autrement dit, on pourra peut-être bientôt demander aux médecins de tuer « médicalement » des personnes qui ne sont pas en train de mourir.

Il est évident que de permettre cela aurait pour effet de faire prendre à ce phénomène des proportions beaucoup plus grandes que celles prévues au départ dans le critère de « souffrances insupportables en fin de vie ». C’est pourquoi il faudra multiplier au centuple tous les risques invoqués dans cette discussion.

Ce qui est regrettable, c’est que les demandeurs et leur avocat n’admettent pas que de tels risques existent. Par exemple, qu’il y ait une augmentation des suicides est impossible à leurs yeux, car « l’aide médicale à mourir » n’est par définition jamais un suicide (bien que n’importe quel patient apte et suicidaire aurait le droit absolu de mourir en remplaçant le fusil ou le poison par un médecin). En outre, la question de connaître le nombre de personnes « vulnérables » qui pourraient mourir pour les mauvaises raisons est aussi hors sujet, car M. Truchon et Mme Gladu ne sont pas vulnérables. Et selon les priorités floues des requérants, s’il n’y a qu’une seule personne non-vulnérable atteinte d’une maladie ou handicapée qui souhaite mourir, alors la société a un devoir sacré de lui fournir cette mort, même si cela signifie transformer complètement la culture de la médecine, en faisant fi des possibles désordres que cela causerait.

La loi, quant à elle, ne doit pas endosser sans sens critique la perspective du premier venu. Elle a le devoir de balancer les intérêts divergents.

Ces intérêts divergents et la fonction de la loi comme instance de balancement furent nettement mis en évidence lors du premier jours des auditions par la présence de deux individus sévèrement handicapés, vigoureusement opposés aux demandes de M. Truchon et de Mme Gladu et déterminés à défendre leurs propres droits. Ils ne défendaient pas le droit de bénéficier d’une exception discriminante au droit criminel, ce qui, par le fait même, légaliserait leur mort. Ils demandaient le droit d’une application égale et non discriminatoire de la loi existante pour prévenir ce genre de mort.

C’est justement ce que la loi contre le suicide assisté accomplit: elle prévient des morts. Avant l’arrêt Carter et le Loi C-14, elle offrait cette protection à chacun. Et même depuis l’adoption de l’euthanasie jusqu’à aujourd’hui, elle protège toujours ceux qui ne sont pas en fin vie. Mais si le procès Truchon-Gladu prévaut, cette protection sera enlevée à la totalité de la population d’individus atteints de maladie chroniques et handicapés. Ce scénario serait tout simplement horrible.

On a appris que l’avocat de M. Truchon et de Mme Gladu a rejeté sommairement toute notion de perte de protection du citoyen en avançant cet argument jugé indiscutable: « Chacun a le droit de choisir. » Mais si choisir était une protection suffisante contre les dangers du suicide assisté, pourquoi aurions-nous besoin de la loi au bout du compte? Pourquoi est-ce que les personnes « normales » ont toujours besoin de protection? La réponse est évidente: la raison en est que la loi existante protège réellement la population entière. Les personnes non-suicidaires qui sont atteintes d’une maladie ou d’un handicap (qu’elles soient « vulnérables » ou non) rejettent naturellement cette tentative consistant à leur arracher leur droit d’un traitement égal devant la loi.

Cette situation n’est pas différente de bien d’autres réglementations en vigueur, comme par exemple celle qui requiert des portes pour fermer les cages d’ascenseur (malgré que les gens puissent simplement « choisir » de ne pas se jeter dans la cage). Nous reconnaissons en effet que des personnes pourraient accidentellement y tomber, ou encore s’y jeter dans un épisode de faiblesse existentielle. Et d’ailleurs, on peut aussi les y pousser. Les portes aident à prévenir de tels drames. Nos lois agissent de la même manière contre le suicide assisté.

Fondamentalement, ici se révèlent les deux côtés de la problématique : d’un côté, les gens qui cherchent un « droit » exceptionnel pour sauter en bas, aidés du personnel médical. De l’autre, ceux qui, étant dans la même position pour demander ce que veulent les premiers, souhaitent bénéficier du même niveau de protection que n’importe quel autre citoyen.

Comment peut-on, dès lors, décider entre ces deux visions divergentes et incompatibles?

  1. Le nombre de personnes qui, comme M. Truchon et Mme Gladu, souhaitent se suicider, est nettement inférieur au nombre de gens dans des situations semblables qui souhaitent continuer à vivre.
  2. Il est impossible que de personnes possédant les compétences intellectuelles et sociales de M. Truchon et Mme Gladu, eux-mêmes non-vulnérables, soient empêchés de mourir si c’est vraiment ce qu’elles désirent. Plusieurs milliers de Canadiens se suicident chaque année et les estimations montrent que quelques centaines de ceux-ci sont assistés. Le risque encouru alors par M. Truchon et Mme Gladu n’est pas l’exigence de vivre, mais plutôt que la société ne se portera pas garante de leur mort.
  3. Dans le cas où M. Truchon et Mme Gladu gagneraient leur cause, d’autres personnes perdront la vie, car celles-ci succomberont inévitablement, et c’est regrettable, à sauter dans la cage d’ascenseur qui manquera désormais de protection. Advenant ce scénario, notre choix oscillera entre offrir une mort plus agréable à une petite partie ou protéger le cours de la vie pour un plus grand nombre de gens.
  4. Toute personne honnête comprendra que de familles surmenés, d’aidants surchargés, et aussi, peut-être, d’héritiers manifestement cupides puissent émaner l’intimidation, la coercition, ou simplement la suggestion. Toute personne honnête doit aussi reconnaître le danger que des doutes personnels passagers ou un désespoir existentiel donne droit à un suicide médical, sanctionné par l’État. Nous croyons que ce que les législateurs ont considéré comme étant un poids acceptable, dans un compromis impliquant seulement ceux qui souhaitent mourir rapidement et avec moins de souffrance à la fin de leur vie, devrait être considéré comme absolument inacceptable lorsque transposé à la population plus vaste de ceux qui ne sont pas en phase terminal de leur maladie ou de leur handicap.
  5. La loi est un cadre dans lequel nous vivons. Les bénéfices tirés de la loi devraient être maximisés pour ceux qui sont en vie et pour ceux qui veulent continuer de vivre.

À partir de ces faits, nous arrivons raisonnablement à la conclusion que la loi existante (aussi mauvaise qu’elle puisse être) devrait rester telle quelle, sans extension. M. Truchon et Mme Gladu mourront, comme chacun, et cette mort adviendra sûrement plus tôt que prévue, soit d’eux-mêmes ou d’autres.

Mais lorsqu’ils quitteront ce monde, il ne faut pas qu’on leur permette de nous avoir légué un cadre fonctionnant au détriment de ceux ayant choisi de rester derrière.

Rendons l’euthanasie inimaginable.

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente

 

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