Au sujet des directives anticipées autorisant la mort. Nous pouvons faire beaucoup mieux…

Bien avant l’adoption des lois permettant l’euthanasie au Québec et au Canada, lesquelles stipulent que l’euthanasie doit être demandée par une personne adulte et apte, on sentait monter la pression pour inclure aussi les personnes inaptes. Cette possibilité est maintenant considérée par un comité conseil du gouvernement canadien (Conseil des académies canadiennes). De plus, la Coalition Avenir Québec, récemment élue pour former le nouveau gouvernement provincial, a inclus cette possibilité dans son programme électoral.

D’autre part, un groupe de chercheurs (Gina Bravo et al.) a mené des sondages sur cette question auprès d’aidants naturelsd’infirmières et de médecins .  Résultat : la majorité des répondants se  sont dit favorables à un élargissement de la loi pour permettre l’aide médicale à mourir par demande anticipée pour les personnes rendues inaptes à prendre des décisions. La pression est forte. Si c’est une bonne chose d’administrer la mort, pourquoi donc la refuser?

Mais qui a défini l’aide médicale à mourir comme un bien? Elle a été vendue aux politiciens et aux juges comme étant une réponse extrême à une situation extrême. Et depuis quand les décisions éthiques sont-elles prises par sondages d’opinion?

Vouloir permettre l’euthanasie par demande anticipée, c’est répondre non pas à une souffrance actuelle, mais à la peur d’une souffrance future et hypothétique. On peut critiquer cela de plusieurs manières. Regardons-en quelques-unes : la validité très contestable des directives anticipées comme outil de prise de décisions, le manque d’un consentement concomitant à l’heure de la mort et le danger très réel d’abus des aînés.

L’idée d’utiliser des directives écrites pour des décisions d’ordre médical advenant le cas où une personne perdrait l’aptitude de choisir a été très populaire durant les dernières décennies. Cependant, il n’est pas du tout clair que cette pratique soit utile, prise seule. Plusieurs problèmes émergent de l’application de ces directives, comme la difficulté d’entrevoir les événements futurs et l’impossibilité de prévoir tous les scénarios médicaux possibles. Beaucoup ont conclu que ce genre de document « promet plus de contrôle sur les soins futurs qu’il ne peut se le permettre » [i]. De plus, la pédagogie actuelle tend plus à mettre l’accent sur la réflexion et la discussion plutôt que sur quelque chose de fini que serait un document écrit. [ii]

Cette notion de choix, celle de décider, quand on se porte bien, que lorsqu’on atteindra un certain degré de perte d’autonomie ou d’inaptitude on voudrait se faire enlever la vie, est lourde de problèmes éthiques. Un tel choix, mis sous forme de directive écrite, comporte non pas une différence de degré, mais de nature avec celui qui autoriserait la limitation de soins dans un cas de maladie avancée ou en phase terminale, autorisation qui ne fait que permettre à la maladie de suivre son cours naturel.

Dans les cas de trouble cognitif, ce genre de directive enlève à la personne le droit de changer sa décision. Il exige du médecin qu’il cause directement la mort de quelqu’un qui ne la demande pas au moment même où cela se produit, comme on l’a vu récemment aux Pays-Bas avec cette femme qui a été placée sous sédatif, ensuite retenue de force, et finalement euthanasiée contre sa volonté afin d’obéir à la directive. [iii] Celle-ci attache la personne inapte à une décision prise à un certain moment dans le passé, malgré le fait qu’elle pourrait avoir un regard tout autre sur la vie et des désirs différents que ceux exprimés lorsqu’elle était légalement en mesure de le faire. Les personnes démentes jugent souvent leur qualité de vie supérieure à ce qu’estiment leurs aidants naturels. [iv] Il n’y a aucune raison de ne pas respecter les souhaits d’une personne inapte aussi longtemps qu’elle ne lui fait pas de mal. [v]

Aux Pays-Bas, l’euthanasie par demande anticipée est permise, mais demeure extrêmement controversée et rarement pratiquée, principalement à cause de l’impossibilité de connaître les désirs présents du patient. [vi] En 2017, un groupe de médecins néerlandais s’est prononcé contre cette pratique. Ils écrivaient : « Notre réticence morale à enlever la vie d’un humain sans défense est trop vive ». Quelques-uns de ces médecins sont d’ailleurs des spécialistes de l’euthanasie. [vii]

Le professeur néerlandais Boris Brummans a écrit en 2007 dans un article intitulé Death by Document [viii] et portant sur l’euthanasie de son père par demande anticipée : « Même si l’euthanasie était sensée libérer mon père des contraintes conventionnelles du suicide, sa déclaration textuelle l’a rendu prisonnier de lui-même… En signant la déclaration d’euthanasie… mon père a créé un personnage de lui-même et pour lui-même, qui transcendait l’espace et le temps, et qui était basé sur la personne qu’il pensait qu’il serait. Sur quoi ces pensées étaient-elles basées? Sur des images vides d’un soi pas encore vécu; sur des idées fades d’une vie pas encore accomplie. »

Dernièrement, le risque d’abus contre les aînés est devenu une réalité constamment présente. [ix]  Même des personnes âgées sans problème psychologique sont souvent dépendantes des générations plus jeunes, autant émotionnellement que du point de vue de leurs besoins pour le maintien de leur autonomie et de la vie dans un monde qui a changé comparativement à leur époque. Un début d’affaiblissement cognitif, repéré ou non, augmente la dépendance et entraine un déséquilibre dans les rapports de force. Même les familles qui s’occupent de leurs personnes âgées et sont les mieux intentionnées peuvent transmettre un subtil message que les soins aux aînés sont, pour elles, un fardeau. Si les proches aidants abusent de ce déséquilibre de force, on peut en venir à signer des documents légaux comme un mandat de protection (ou procuration permanente) favorisant l’abuseur. [x] [xi] J’ai plusieurs années d’expérience avec ce genre de situation et souvent on m’a demandé de témoigner en cour pour les patients, incluant la femme dont l’histoire fut dévoilée en 2015 dans un article de La Presse [xii]. Les résidences privées ou les soins à domicile pour une personne âgée non-autonome coûtent cher et peuvent rapidement amenuiser l’héritage de la prochaine génération. De nouvelles directives autorisant la mort donnerait un outil de plus aux héritiers avares. [xiii]

Nous pouvons faire beaucoup mieux pour nos aînés. Montrons-leur que nous nous soucions de leur sort.

Rendons l’euthanasie impensable…

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente


                       

i    Perkins, Henry S. Controlling Death: The False Promise of Advance Directives. Annals of Internal Medicine, July 3, 2007.
ii http://www.advancecareplanning.ca/
iii http://www.independent.co.uk/news/world/europe/doctor-netherlands-lethal-injection-dementia-euthanasia-a7564061.html
iv    Zucchella C et al, Quality of life in Alzheimer disease: a comparison of patients’ and caregivers’ points of view. Alzheimer Dis Assoc Disord. 2015 Jan-Mar;29 (1):50-4
v http://www.alzheimer.ca/en/Living-with-dementia/Caring-for-someone/Making-decisions
vi Pols, H., Oak, S, op. cit.
vii https://nltimes.nl/2017/02/10/dutch-doctors-euthanasia-advanced-dementia-patients
viii Brummans, Boris H. J. M. Death by Document: Tracing the Agency of a Text. Qualitative Inquiry 2007 13: 711.
ix https://cnpea.ca/images/canada-report-june-7-2016-pre-study-lynnmcdonald.pdf
x https://assetsforcare.seniorsrights.org.au/relationship-breaks-down/equity/undue-influence-unconscionable-dealing/
xi http://www.donnellgroup.ca/resources/estate-litigation-articles/undue-influence-canada
xii http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/yves-boisvert/201504/17/01-4861920-la-vieille-dame-qui-senfuyait-avec-sa-marchette.php
xiii https://www.mercatornet.com/careful/view/elder-abuse-a-real-and-present-danger/20318

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