L’aide médicale à mourir (AMM) a été vendue au public et à notre profession, comme une réponse exceptionnelle à une demande faite par un adulte compétent dont la mort est imminente, et dont les souffrances ne peuvent être soulagées par d’autres moyens, disait-on. Mais il était évident dès les débuts que l’accès à l’euthanasie serait étendu au-delà de ces limites. Présentement, l’accès pour les personnes souffrant de maladies psychiatriques, par directives anticipées, et lorsque la mort n’est pas imminente, est mis en cause, de même que nous sommes devant une proposition pour étendre l’accès aux enfants (« mineurs matures »).
La question de l’euthanasie pour les patients pédiatriques a été transmise au Conseil des Académies canadiennes après que la Loi C-14 fut adoptée; un rapport est attendu pour la fin de 2018. Pour un aperçu de ce que pourra exprimer ce rapport, on peut lire le document d’un groupe de travail du Hospital for Sick Children de Toronto.
Après notre expérience du débat canadien sur l’euthanasie, nous ne devrions pas être surpris par la conclusion de ce texte: l’euthanasie volontaire devrait être accessible aux enfants qualifiés de « mineurs matures » (sans critères d’âge, estimés individuellement) et même sans en informer les parents, s’ils le désirent.
Réfléchissons un instant, avant d’argumenter, à l’ampleur du coup porté aux parents et aux familles, qui devront porter le poids d’une telle réalité, et cela même toute leur vie. Citons un exemple qui nous est familier : un jeune homme qui a passé deux semaines aux soins intensifs avant d’en informer ses parents, parce que, a-t-il dit, « il ne voulait pas leur causer d’inquiétude ». Avec une idée déformée de la responsabilité parentale et familiale, il a cru bon de ne pas inquiéter ses parents plutôt que de les laisser prendre leur place auprès de lui, et surtout leur donner la chance de lui dire au-revoir s’il devait mourir. Peut-on douter que certains jeunes candidats à l’euthanasie se conduiraient exactement de la sorte?
Le raisonnement des auteurs du texte en question est simple : un enfant mineur compétent a déjà le droit de refuser ou d’interrompre des traitements vitaux, sans en informer ses parents, s’il le désire. La mort est la mort. Les causes de la mort peuvent être équivalentes. Pourquoi donc l’AMM serait différente du refus de traitements vitaux? La proposition en question est donc que l’euthanasie -une mise à mort volontaire- est éthiquement équivalente au retrait de soins lourds afin de laisser une maladie terminale suivre son cours, tout en soulageant les symptômes.
Imaginons une situation vraisemblable : un parent arrive à l’hôpital pour visiter son enfant malade et quelque chose est différent aujourd’hui : il est confronté avec la mort inévitable de son enfant, dont les soins ont été interrompus; ou bien alors, il est confronté avec le cadavre de son enfant euthanasié. Quelle différence significative!
Comme l’admettent les auteurs, nous trouvons des deux côtés de cette controverse, la Société canadienne de Pédiatrie (SCP), opposée à l’euthanasie des moins de 18 ans, et de l’autre côté, les « académiciens et les groupes consultatifs ». La perspective de la SCP, que l’euthanasie diffère d’un point de vue éthique du refus de soins, est admise par les auteurs en tant que « considération habituelle dans la littérature sur l’AMM, qui fonde presque toutes les directives et guides que nous avons vus sur l’AMM ». Cependant, la prépondérance de cette position éthique ne les empêche pas de la rejeter.
La raison donnée pour invalider cette perspective éthique est la suivante : c’est qu’elle provient de la perspective du médecin, pour qui les deux actes sont clairement non-équivalents, alors que la perspective qui doit maintenant avoir préséance est celle du patient suicidaire (pour qui le désir de fuir la souffrance motive aussi bien le refus de traitement que l’AMM). Mais attention, ne sommes-nous pas en train de réfléchir sur une pratique médicale éthique? Il est évident que nous devrions nous placer dans la position du médecin!
Les ramifications éthiques de l’acte d’euthanasier sont grandes; les auteurs l’admettent, sachant que nous sommes ici en face de la proscription millénaire de l’homicide. Le principe est clair et raisonnable : le médecin ne peut imposer un traitement contre la volonté du patient, même si celui-ci doit en mourir. Le patient, par contre, n’a aucun droit de dicter la conduite morale du médecin, ou de la société, en demandant que quelqu’un porte la responsabilité morale de le tuer.
Les auteurs concluent, avec générosité et un désir de justice : « Cette ébauche de notre politique recherche un juste milieu entre les théories divergentes, en considérant l’AMM d’une manière cohérente avec les autres interventions médicales qui résultent dans la terminaison de la vie, tout en tenant compte que certains patients et médecins percevront l’AMM comme distincte. »
En résumé, cette vision de quelques rares académiciens, (à l’encontre de toute éthique prédominante qui a existé jusqu’à présent) considèrent réellement l’AMM comme équivalente à toute autre action médicale, moins controversée, qui peut écourter la vie d’une personne; mais ils concèdent que certaines personnes peuvent sincèrement penser différemment! De toute évidence, ils préparent la normalisation de la pratique médicale qu’ils désirent, tout en accordant un « droit de conscience » à la majorité qui préfèrerait ne pas participer.
Accepter une telle vision de l’euthanasie, comme une option équivalente au refus de soin, aura des effets néfastes illimités. L’élargissement de l’accès à l’AMM devient alors logique, autant pour les très jeunes que les très âgés, que pour les personnes avec troubles cognitifs ou handicaps sévères, en somme, à tous ceux qui ne peuvent pas y consentir. L’euthanasie devancerait la suite fatale, avec la perte, déshumanisante et systématique, des derniers mois, jours et heures de la fin de vie, tant investie par l’expertise des soins palliatifs.
Enfin, il est impossible de discuter honnêtement de ces questions sans mentionner l’intérêt financier de l’État qui est en jeu. Chaque heure de vie écourtée peut valoir une économie de milliers de dollars, dans notre système de santé subventionné par l’État. Ce facteur rend difficile un jugement impartial de l’institution envers l’expansion de l’euthanasie.
Nous ne pourrons maintenir le sens de l’humanité au cœur de notre profession, pour contrer cette vision utilitariste et économique, qu’au prix d’efforts délibérés, constants et déterminés,
Rendons l’euthanasie impensable.
Sincèrement,
Catherine Ferrier
Présidente
OCT
2018
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