L’éthique et l’euthanasie

Bulletin du Collectif avril 2018

Le cycle des nouvelles que nous apportons au Collectif contre l’euthanasie couvre parfois un long laps de temps. Après tout, nous ne sommes pas journalistes, mais simplement des médecins soignants des personnes malades, qui essayons, dans nos moments libres, de protéger les patients, les médecins et la société de l’euthanasie, par notre blog et notre bulletin, entre autres moyens.

En novembre 2017, l’Association Médicale Mondiale  (AMM) se réunissait à Rome pour discuter des questions de fin de vie. Le docteur Jeff Blackmer de l’Association médicale canadienne (AMC) y plaidait pour un changement à la position de l’AMM sur l’euthanasie, qui exprime que l’euthanasie est non éthique. En janvier 2018, nous avons publié une critique de cette intervention, et dans les jours suivants, le docteur Blackmer nous envoyait sa réponse à notre article. Nous revenons maintenant à cette discussion importante; mieux vaut tard que jamais!

Voici un bref résumé de l’article du docteur Blackmer :

« On ne peut pas dire en vérité s’il est mal ou bien de tuer un patient qui le demande. C’est une question d’opinion. Les membres de l’AMC ont des opinions divergentes à ce sujet et l’AMC s’engage à les soutenir tous. L’AMC a fait de grands efforts pour soutenir la liberté de conscience des médecins qui refusent d’euthanasier leurs patients. Nous soutenons aussi ceux qui choisissent de pratiquer l’euthanasie, et nous demandons à l’AMM de cesser de les étiqueter de médecins non éthiques. C’est ainsi que nous devons respecter ceux qui tiennent des opinions différentes des nôtres. »

Et ceci: « Les médecins qui vont à des rencontres pour exiger que leurs collègues soutiennent leurs droits, même s’ils ne sont pas d’accord avec leur position, mais refusent ensuite de faire de même lorsque confrontés à une position contraire à la leur, pourraient très bien être accusés d’hypocrisie, par certains. »

Le relativisme éthique de ces affirmations est évident, de même que l’effort de l’AMC de plaire aux médecins des deux côtés du débat.  Les limites du relativisme sont aussi évidentes dans le paragraphe suivant :

« Il est moralement inacceptable de comparer les médecins qui participent à l’aide médicale à mourir aux médecins nazis. »

Si nous concluons sur ces citations, il n’y a donc pas d’absolu moral au sujet de tuer une personne, mais il est moralement inacceptable de qualifier ou étiqueter les faits ou de faire des parallèles déplaisants ou inconsidérés.

Bienvenue au Canada du 21e siècle!

En réalité, la Déclaration de l’AMM au sujet de l’euthanasie ne qualifie pas les médecins d’éthique ou de non éthique; elle propose un code de conduite à la profession. Les médecins qui contreviennent à ce code le font pour plusieurs raisons; certaines peuvent être admirables, d’autres, moins admirables. La Déclaration s’adresse uniquement aux actes et ne dit rien des personnes. Nous croyons que la prohibition de tuer intentionnellement est un pilier de notre civilisation depuis des millénaires, et que de vouloir formuler une position « neutre » à ce sujet est injustifiable. L’insistance pour que l’AMM pose un jugement neutre sur l’euthanasie plaide en réalité pour une position en faveur de l’euthanasie, même si non explicite.

Ceci nous amène au Code d’éthique de l’AMC, dans sa nouvelle version préliminaire (non disponible en ligne).

Cette version proposée inclut l’obligation de référer à un autre médecin, dans certaines circonstances, lorsque le patient demande un acte que le médecin considère non éthique. Plusieurs membres ont exprimé leur fort désaccord avec cette exigence. Nous espérons que l’AMC tiendra compte de ces voix et ne s’enlignera pas avec la position du Collège des médecins et chirurgiens d’Ontario, qui tente d’évacuer les médecins qui refusent l’euthanasie, de presque toutes les spécialités.

Il est instructif de regarder certains articles des versions précédentes du Code d’éthique de l’AMC, légèrement reformulés,  et de voir quel sens ils peuvent avoir avec l’avènement de l’euthanasie légale.

Comment l’AMC les comprend-elle  maintenant ?

Quelques exemples :

« Exprimer (au patient) des opinions en accord avec les points de vue de la profession … ; le cas échéant, préciser qu’une opinion va à l’encontre du point de vue de la profession. » (C 31)

Littéralement, cette citation dit que les médecins qui pratiquent l’euthanasie devraient informer leurs patients du fait qu’un très petit nombre de médecins, au Canada comme dans le monde, pense comme eux, et qu’il n’y a aucune évidence scientifique soutenant que l’euthanasie est une solution à la souffrance.

« Accepter les patients sans discrimination (p. ex., âge, incapacité, …, caractéristiques génétiques, …, trouble médical, …). (C 1)

Les groupes qui défendent les droits des personnes avec un handicap l’ont pourtant répété à maintes reprises : une profession qui permet que certains patients, justement choisis d’après ces critères de préjudice, soient informés qu’ils possèdent un « droit de mourir » spécial, contrevient déjà à cette directive éthique.

« Respecter les valeurs et les intentions des patients incapables de prendre des décisions lorsqu’elles ont été exprimées par leur mandataire ou dans le cadre de la planification préalable des soins de fin de vie. » (C 11)

Cette clause, concernant le retrait ou l’arrêt des soins, devient maintenant sujette à controverse, dans le contexte de l’aide médicale à mourir. Un souhait exprimé dans le passé, sans compréhension véritable de ses implications, pourrait conduire à tuer une personne consciente qui ne veut pas mourir présentement.

Puis à l’intention des médecins : « Maintenir sa santé et son bien-être personnel, … Valoriser et promouvoir une culture professionnelle où l’on reconnaît et soutient les collègues dans le besoin … » (B 6)

Ceci devrait indiquer, au minimum, de prévenir toute épidémie de trouble de stress post-traumatique (PTSD), en certifiant et en contrôlant le plus petit nombre de praticiens de l’aide médicale à mourir, et en gardant l’euthanasie rigoureusement éloignée de la pratique médicale normale et courante.

Nous sommes heureux des principes de base proposés par le nouveau Code concernant la conscience du médecin.

Dans la section « Vertus incarnées par les médecins » :

« CONSCIENCE MORALE : Un médecin ayant une bonne conscience morale exprime et met en pratique ce qui lui semble être juste et bon, quelles qu’en soient les conséquences.» (A)

Puis dans la section « Les médecins et leurs patients : Agir selon sa conscience et respecter les différents points de vue de ses collègues ;… » (C 2)

Ces deux points méritent d’être poursuivis, rejoignant l’idée simple et pratique, identifiée comme « Responsabilité fondamentale » dans la version de 2004 :

 Résister « à toute influence ou ingérence risquant de miner votre intégrité professionnelle. » 

Et oui, nous résisterons.

Rendons l’euthanasie impensable.

 

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