Une solution démocratique pour la protection du droit de conscience des médecins?

La Cour Divisionnaire d’Ontario a fait connaître le 31 janvier 2018 sa décision dans la cause apportée par une coalition de médecins contre le Collège des Médecins et Chirurgiens d’Ontario (CPSO) concernant l’obligation de référer à d’autres médecins, leurs patients qui demandent certains actes (incluant l’euthanasie) auxquels eux-mêmes s’objectent en conscience.

La Cour juge que les droits de liberté religieuse et de conscience sont effectivement enfreints par les directives du CPSO, mais que cette violation est justifiée afin d’assurer aux patients l’accès à tous les soins. L’Ontario devient ainsi la seule juridiction au monde qui impose une telle coercition sur les médecins, qui n’existe même pas en Belgique ni au Pays-Bas.

Ce jugement est fort surprenant et très décevant, mais ce combat n’est pas terminé.

Depuis des années nous argumentons contre l’euthanasie : d’abord pour prévenir sa légalisation, ensuite pour prévenir son implantation abusive et généralisée en tous lieux de notre système de santé. Jusqu’à maintenant, ces avertissements pouvaient facilement être mis en attente dans l’esprit des médecins, déjà fort occupés par les défis de la pratique médicale quotidienne.  Cependant ce jugement de la Cour, confirmant les directives coercitives du CPSO, nous projette dans une réalité radicalement différente, où la vie professionnelle des médecins est liée à des exigences inacceptables. Nous voyons maintenant l’urgence d’une stratégie réaliste : remplacer par voie démocratique ces personnes radicales qui nous représentent au sein de nos organisations- comme le CPSO- par des personnes au leadership modéré et éthiquement responsable.

Il existe une tendance, chez nos adversaires, à déprécier et diminuer le nombre substantiel des médecins qui ne veulent pas en toute conscience collaborer à l’AMM (aide médicale  mourir). Mais le fait que ce groupe n’ait pas réussi à arrêter la légalisation de l’euthanasie ne signifie pas que son nombre soit insignifiant ou que son importance peut être ignorée.

Il y a de très nombreuses tâches médicales plus pressantes que l’euthanasie,  et un nombre insuffisant de main-d’œuvre pour suffire à la tâche. Peu importe notre opinion personnelle, il est évident que tous, et chacun d’entre nous, sommes nécessaires pour servir la population efficacement. Et pourtant nous savons que plusieurs d’entre nous, praticiens actuels, ou ceux qui, nous l’espérons, feront la relève, seront repoussés par ces directives extrémistes.

Ce danger est réel et nous concerne tous. Imaginons ce que sera la pratique médicale au Canada lorsque des idéologues zélés auront fait fuir un capital humain précieux, présent et potentiel, qui ne peut en conscience collaborer avec l’euthanasie.

Ceci dit, voyons concrètement les dangers et difficultés qui ressortent des exigences inacceptables de la CPSO, validées par le jugement de la Cour d’Ontario.

Il est édicté qu’un patient doit être référé à un médecin, à un autre professionnel de la santé, ou à une agence ou autre entité médicale « disponible et accessible ». Mais il n’y a aucune garantie que ces entités existent, à l’endroit et au moment où elles sont « nécessaires ». De fait, dans plusieurs régions éloignées, ces médecins ou entités sont souvent inexistants, de sorte que les médecins qui s’objectent à certains « soins » ne pourront pas se conformer à la directive. Cette difficulté est admise dans le jugement de la Cour :

« Le gouvernement d’Ontario a créé une Agence de coordination des soins (Care Coordination Service- CCS)… Cependant le CCS est au stade d’ébauche et ne peut constituer une agence viable. Mais peu importent les circonstances (italiques du rédacteur), plusieurs des candidats requérants dans cette cause ont témoigné que ce service de référence… contreviendrait aussi à leurs…  convictions. »

Il semble donc que, selon le jugement d’une Cour canadienne, il est sans importance que les conditions objectives pour se conformer à un jugement, existent ou non. Quelle logique publique aberrante! Et quelles provisions sont-elles faites pour ces médecins- une majorité d’environ 77%- qu’ils aient ou non une objection morale ou religieuse spécifique, ne sont tout simplement pas prêts à performer d’euthanasie eux-mêmes? Qu’arrive-t-il lorsqu’ils ne peuvent trouver d’entités auxquelles référer leur patient?

Voici le texte en question :

« Dans une situation d’urgence, les médecins sont tenus de dispenser les soins, lorsque nécessaire pour éviter des torts imminents, même lorsque ces soins entrent en conflit avec leur conscience ou leurs croyances religieuses. »

Et voilà : l’euthanasie est définie comme un soin médical. Dans une urgence, ce soin doit être dispensé, objection de conscience ou non. Le devoir de référer est simplement accessoire. Le médecin a le devoir de tuer. S’il est possible de référer efficacement, ce devoir est satisfait. Mais dans l’impossibilité de référer ainsi, il est attendu que chaque médecin de l’Ontario doit effectuer l’euthanasie lui-même.

Mais le lecteur de bonne foi se dira « Comment l’euthanasie peut-elle être une urgence?

Comment est-il possible d’avoir besoin de de tuer un patient pour lui éviter un tort imminent? Ce sont des questions semblables que nous nous sommes posées – avec la même incrédulité- il y a quelques années : comment l’euthanasie pouvait-elle être un traitement ou un soin? Ceci n’est pas imaginaire, mais bien réel : sans aucun doute, des médecins en régions éloignées seront accusés d’avoir failli à leur devoir parce qu’ils auront refusé d’administrer l’euthanasie (un « soin urgent « ), causant ainsi l’indignité (le « tort »)  à un patient, d’avoir à vivre quelques heures supplémentaires, malgré que le patient soit sous sédation adéquate. Toutes les pièces législatives et judiciaires ont été mises en place méticuleusement. Nous ne pouvons plus douter de la stratégie. La tergiversation et la dissimulation ne sont plus possibles.

Dans cette victoire idéologique précipitée, aucune considération sérieuse n’a été faite

au sujet des effets dévastateurs inévitables sur les soins de santé en général. Des leçons seront apprises; les comportements se modifieront pour éviter les conflits. La pratique rurale en particulier en souffrira. Ces régions sont déjà chroniquement sous-desservies malgré toutes les mesures d’incitation offertes aux médecins volontaires.  Que pensera alors le praticien potentiel lorsqu’il soupèsera les avantages et désavantages d’aller en région éloignées, et qu’il saura que son travail comprendra- aussi  la tâche de tuer parfois le patient qu’il aura soigné?

Ceci n’est pas une réflexion banale. 80% de la population canadienne habite une bande étroite de villes au sud du pays. Mais 20% habite hors de cette zone. Nous avons entendu récemment l’argument que de transférer d’un hôpital à l’autre un patient-candidat à l’euthanasie, était trop lourd. Que fera-t-on pour les transferts sur des centaines de kilomètres? Considérant les coûts comparatifs d’envoyer par avion des « médecins spécialistes de la mort »  ou de poser comme condition à l’emploi de pratiquer l’euthanasie, peut-on douter que le second choix l’emportera? Et quelles seront les conséquences sur la pratique des soins dans ces régions éloignées?

En résumé, ces directives ne tiennent aucunement compte de la réalité des soins médicaux au Canada, ni des convictions de ceux qui  les dispensent, ni des besoins non desservis de la population. Nous sommes confrontés à une attitude arrogante et naïve, au niveau politique comme juridique.

À l’origine du droit à « l’objection de conscience », tel que cité par le jugement Carter, est l’admission implicite qu’il est légitime de s’objecter à collaborer à l’euthanasie; qu’on nombre non-négligeable de personnes ne trouvent pas l’euthanasie légitime. En d’autres termes, l’inclusion de la possibilité d’objection dans la loi existante trahit un fait politique simple : la légalisation de l’euthanasie n’aurait pas été possible, ni acceptable pour la profession médicale, sans ce droit à l’objection, qu’on veut maintenant nous enlever.

Heureusement, les associations qui certifient et représentent les médecins canadiens- l’Association médicale canadienne, les collèges comme le CPSO, le CMQ-  sont structurées démocratiquement. La plupart des médecins accordent peu d’attention au politique et sont pleinement occupés par leur pratique médicale. Cependant, dans les circonstances particulières que nous vivons, il est urgent que nous, médecins, fassions comprendre à ceux qui nous représentent, la réalité de cette idéologie euthanasique, qui opprime la vraie médecine, sinon il nous faut élire à leur place des représentants qui ont une vision vraiment éthique, réaliste et  responsable de la pratique médicale au Canada.

Rendons l’euthanasie impensable.

 

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