Un roc dans la tempête.

Tristement, mais de manière tout à fait prévisible, l’encre sèche à peine sur la loi fédérale C-14, des pétitions se trouvent déjà devant la Cour (au Québec et en Colombie Britannique), de la part de personnes qui ne satisfont pas aux critères prévus par cette loi. L’argument de fond est que les patients suicidaires devraient être éligibles à mourir avec l’assistance de l’État, même si la mort naturelle n’est pas « raisonnablement prévisible ».  Rappelons qu’une condition similaire est présente dans la loi Québécoise (52), exigeant que le patient suicidaire soit « en fin de vie ».  En contestant cette condition au Québec, Jean Truchon et Nicole Gladu s’attaquent donc aux deux lois. Alors, ils demandent précisément le retrait du plus important mécanisme limitatif de ces lois ; car suite à un tel changement, l’euthanasie serait légalement disponible à presque n’importe quelle personne, malade chronique ou handicapée au Canada.

Le Collectif des médecins contre l’euthanasie, ainsi que de nombreux autres organismes et individus engagés, fera toute chose possible pour, au moins, garantir le respect scrupuleux des dispositions des lois existantes. Cependant, ce sera une bataille juridique longue et sans compromis. Notre société est en perpétuel mouvement; personne ne peut dire avec certitude où nous aboutirons.

Mais au milieu de ces transitions rapides et déconcertantes, il est essentiel de rétablir une vision claire de la réalité : contrairement aux apparences, l’euthanasie (en autant qu’elle soit volontaire) demeurera toujours un phénomène marginal, légalisé uniquement pour accommoder une infime minorité de patients suicidaires. Il faut reconnaitre l’évidence : les gens ne sont aucunement empressés à mourir. Il semblerait, donc, que l’enthousiasme que manifestent certains membres des communautés politiques et médicales, dans leur volonté  d’embrasser la « nouvelle norme » est, au mieux, prématuré.

Voici les faits actuels :

Selon l’Association médicale canadienne, plus de 60% des médecins canadiens disent qu’ils ne participeront jamais à l’euthanasie (2016). Encore 15 % sont, soit incertains, soit trop discrets pour répondre. Mais, tandis que 25% se disent théoriquement prêts à participer, seulement une infime fraction de ce nombre s’est portée volontaire dans les faits.

Dans la sphère politique, rappelons que la députée fédérale Francine Lalonde (Bloc québécois), a introduit une série de projets de loi pour légaliser l’euthanasie, en 2008 et 2009, dont le dernier (C-384) fut défait le 21 avril 2010 dans la Chambre des communes, par une majorité écrasante de 228 voix contre 59. Aujourd’hui, le fait que l’euthanasie est décriminalisée, résulte du fait que neuf juges, non-élus, de la Cour suprême, ont cru bon (Carter, 2015) de passer outre à la volonté démocratique du Parlement, et d’ordonner l’adoption d’une loi de légalisation. Or, même cette loi de compromis, amèrement débattue (C-14, ratifiée le 17 juin, 2016) est maintenant, sujette à la contestation sous prétexte que les critères d’éligibilité sont trop contraignants !

Est-ce que les instances judiciaires permettront à ces poursuites de se dérouler? Est-ce que la Cour Suprême ordonnera à nos élus de produire encore un autre projet de loi, tout comme des enfants de la petite école, envoyés refaire leurs devoirs? Et est-ce que le Parlement se soumettrait devant un tel affront répété (possédant, comme de fait, le moyen ultime de réaffirmer son autorité dans la clause 33 de la Charte Canadienne, « nonobstant ») ?

Nul ne peut le dire.

Il est vrai que le sentiment populaire a répondu favorablement à l’appel émotif de « respecter le choix » des individus subissant des « souffrances intolérables ». Pourtant, quoique des générations innombrables aient pleuré le destin et les choix terribles d’amoureux impossibles tels Roméo et Juliette, dans la vraie vie, quand ces mêmes personnes se trouvent confrontées à la jalousie, à la trahison ou au divorce, très peu d’entre eux suivent personnellement l’exemple suicidaire de leurs idoles romantiques. De la même façon, les médecins doivent se rendre compte que leurs patients, chroniques ou handicapés, ne sont pas devenus subitement suicidaires. Pas du tout.  Pour chaque personne éligible qui choisira la mort, il y en aura beaucoup, beaucoup d’autres qui choisiront, sans ambiguïté, de vivre : que ce soit une décennie, une année, un mois, ou même une seule heure de plus.

C’est envers ces patients que nous devons notre loyauté première. Notre devoir, de médecin hippocratique, est de valider et d’appuyer leurs choix, au mieux de nos connaissances et de notre expertise. Et ne nous faisons pas d’illusions ; ils ont vraiment besoin de notre protection.

Il est facile de confondre la notion de “qui peut” avec celle de “qui doit”. Les plus vulnérables parmi nous — amis, patients, membres de nos familles – regardent les mêmes bulletins de nouvelles que nous, et lisent les mêmes journaux. Mais autant que nous pouvons avoir des inquiétudes importantes face à l’empiètement de l’euthanasie sur notre profession, les personnes non-suicidaires qui vieillissent, ou qui se trouvent aux prises avec des handicaps et des conditions chroniques, perçoivent dans l’euthanasie, une menace directe vécue à la première personne. Ces dernières voient, dans les critères d’éligibilité toujours élargis, une série de cercles concentriques de la mort, où chaque nouvel agrandissement ouvre le filet d’avantage, pour attraper de plus en plus de gens bien vivants. Ces gens auront des doutes et des craintes terribles, au sujet de leur sécurité personnelle dans ce nouveaux monde hostile ; des gens qui ne peuvent faire autrement que de se sentir obligés, maintenant, à justifier — devant le sentiment capricieux des romantiques de la Mort noble — pourquoi eux s’obstinent encore à vivre ; à voler ignominieusement des ressources précieuses ; à encombrer leurs familles.

Notre tâche est de bannir ces doutes et ces craintes ; de communiquer notre approbation devant le choix de vivre ; de réaffirmer notre dévouement au bien-être de nos patients sur ce chemin, quelle que soit la distance parcourue ; toujours à l’écoute, et en dialogue, avec nos patients et leurs familles, pour distinguer avec sagesse les traitements bénéfiques de ceux qui ne seraient qu’un fardeau.

Si jamais nous devenons les victimes professionnelles d’une nouvelle exigence, abusive, d’ « informer » nos « patients éligibles » de leur « droit à mourir », utilisons cette opportunité pour assurer ceux-ci que nous défendrons leur droit de vivre, au meilleur de nos capacités.

Si la mort devient une question de choix, alors présentons nos alternatives avec clarté et substance.

Rendons l’euthanasie impensable.

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