« Il faut rendre au diable son dû », affirme le proverbe.
D’une certaine façon, nos adversaires méritent vraiment d’être cités en exemple. Beau temps, mauvais temps, avec un petit noyau d’activistes dévoués, ils poursuivent leur agitation en faveur de l’euthanasie. Pendant un demi-siècle (jusqu’au milieu des années quarante), ils ont promu ouvertement l’euthanasie, non seulement en tant que bénéfice pour la victime – malade ou handicapée – mais également comme une sorte d’hygiène sociale qui débarrasserait la collectivité du bois mort, de la dépendance onéreuse et des bouches inutiles. Au moins avaient-ils, à cette époque, la vertu de la franchise.
L’amplitude de cette mentalité discriminatoire a éventuellement pu être mesurée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, deux pays dont 30% de la population a appuyé le programme d’euthanasie. L’honneur de notre société a cependant été préservé par le fait que le seuil critique de la démocratie n’a jamais été atteint. Par la suite, avec la chute, en 1945, du terrible régime qui symbolisera toujours les conséquences horribles découlant de l’adoption d’une mentalité si « dure » et « réaliste », l’appui en faveur de l’euthanasie est presqu’entièrement disparu. L’idée de rendre l’euthanasie obligatoire a été abandonnée et ses militants invétérés ont adopté, malgré eux, un vocabulaire impliquant un choix : celui de refuser les traitements médicaux et, plus récemment, celui de mourir.
Dans quelques pays, incluant le nôtre, cette stratégie s’est avérée très brillante puisque le mouvement en faveur de l’euthanasie s’est allié à d’autres causes plus populaires – touchant la race et la sexualité – afin de se laisser porter sur la vague des droits civiques pour provoquer la légalisation de « l’euthanasie volontaire » qui est ensuite devenue « le suicide assisté » avant de s’appeler « l’aide médicale à mourir », un concept maintenant représenté par l’anagramme neutre et attirant d’ « AMM », découlant d’un élan d’obscurcissement linguistique.
Il est intéressant de noter que la notion de « choix » implique le fait que différentes personnes envisageront différentes options. Dans le même sens, la particularité d’un « droit à choisir » comporte l’idée que différentes personnes exerceront ce droit pour atteindre des buts différents.
Au cours de la première année ayant suivi la légalisation de l’euthanasie, un peu moins d’un pourcent des décès ont été provoqués de cette façon au Canada. Par ailleurs, ces euthanasies ont été pratiquées par un peu moins d’un pourcent des médecins canadiens. En Ontario, il semble que 13% des euthanasies aient été l’œuvre d’aussi peu que trois médecins. En Colombie-Britannique, plus de la moitié des euthanasies ont été l’ouvrage de deux seuls médecins. De tels chiffres ne mentent pas. Nous pouvons affirmer avec certitude que l’euthanasie ne s’est avérée ni plaisante pour les patients, ni pour les médecins.
Ironiquement, la notion de « choix », qui a grandement contribué à la légalisation de l’euthanasie au Canada, est devenue le plus puissant allié des citoyens qui s’opposent à l’expansion de cette pratique. Cette affirmation s’applique particulièrement à la protection des patients qui sont incapables de se protéger eux-mêmes. En effet, tant et aussi longtemps que l’euthanasie est justifiée par un choix, le traitement des personnes inaptes doit être déterminé – de façon analogique – par le choix des personnes qui sont en mesure de prendre une décision. Par conséquent, si la majorité des patients et des médecins optent pour la survie et la patience, ces paramètres doivent être considérés, par défaut, comme étant la meilleure manière de traiter les personnes inaptes.
Le Collectif des médecins contre l’euthanasie a récemment présenté au Conseil des académies canadiennes (CAC) une prise de position abordant trois situations dans lesquelles les limites du choix sont atteintes ou dépassées : les demandes d’euthanasie faites par des « mineurs matures », les demandes anticipées et les demandes relatives à des situations où la santé mentale est le seul problème de santé sous-jacent. Il va sans dire que nous nous opposons à l’euthanasie dans ces trois cas. Nous avons le rôle de contester énergiquement et rigoureusement toute expansion de la pratique de l’euthanasie. La lutte ne se livre plus uniquement devant les tribunaux et dans les comités. Elle déborde maintenant sur le terrain, là où chacun devient un acteur.
Il n’y a aucune raison de perdre du terrain inutilement. Nous possédons l’avantage numérique. Nos principes sont solides. Dans tous les milieux, les médecins donnant la priorité au bien-être de leurs patients sont majoritaires. Nos patients choisissent la vie. Les jeunes embrassent les années à venir. Même les personnes mourantes s’efforcent de rester parmi nous une journée de plus. Malgré le fait qu’il soit pénible de regarder certains de nos collègues pratiquer autrement, notre rôle est de demeurer là où nous sommes afin d’offrir des soins médicaux de haute qualité aux malades que nous rencontrons tout en orientant la formation professionnelle des générations à venir.
Évitons de tomber dans le piège et de croire nos adversaires prétentieux qui affirment que notre bataille est perdue d’avance. Ignorons le message provoquant de ceux qui – conscients de leurs effectifs réduits – ont adopté le comportement du petit chien qui tente de masquer sa vulnérabilité en aboyant plus fort.
Le premier objectif déclaré du Collectif des médecins contre l’euthanasie est de « Promouvoir l’excellence des soins de santé offerts à tous les patients vulnérables ». Maintenant, plus que jamais, nous sommes convaincus que l’excellence et l’admissibilité des soins fourniront l’antidote au désespoir et aux demandes d’euthanasie. Au sein du Collectif, nous bénéficions de l’expertise de plusieurs médecins spécialisés en médecine familiale, en pédiatrie, en gériatrie, en psychiatrie et en soins palliatifs, ainsi que d’autres médecins surspécialisés dans ces domaines. Depuis sa légalisation, certains de nos membres ont fait face à des demandes d’euthanasie et ils ont subi des pressions de la part de leurs collègues mais ils y ont survécu personnellement et professionnellement.
Au fil de notre cheminement, cette expérience et cette expertise collectives pourront être partagées pour le plus grand bien de tous, médecins et patients. Ce bulletin, qui en est à sa sixième édition, représente une petite contribution en vue de l’atteinte de cet objectif. D’autres suivront. Toutes les bonnes idées sont les bienvenues.
Rendons l’euthanasie impensable.
ShareOCT
2017
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