Soumission au Comité du Code international d’éthique médicale de l’Association médicale mondiale,

RE : Consultation publique sur un projet de version révisée de Code international d’éthique médicale

Au Comité du Code international d’éthique médicale de l’Association médicale mondiale,

Au nom du réseau Vivre Dans la Dignité et du Collectif des médecins contre l’euthanasie, nous vous remercions d’avoir lancé la consultation publique concernant le projet de révision du Code international d’éthique médicale.

Vivre dans la Dignité est un réseau de citoyens basé au Québec (Canada) qui œuvre pour la protection de la vie, la dignité inhérente et le soutien des personnes rendues vulnérables par la maladie, la vieillesse ou le handicap. Le Collectif des médecins contre l’euthanasie est une organisation canadienne de médecins comptant plus de 1100 membres issus de tous les domaines de pratique et de toutes les opinions sociales et politiques, qui partagent les mêmes préoccupations quant aux préjudices à la sécurité des patients et aux soins cliniques de qualité liés à l’aide médicale à mourir.

Nous sommes très préoccupés par l’ajout d’une exigence de référence rapide et efficace à un autre médecin qualifié dans les situations où un médecin s’oppose pour des raisons de conscience à une procédure demandée par un patient. 

L’acte de provoquer directement la mort d’un patient, désigné sous le nom d’euthanasie, de mort assistée ou d’aide médicale à mourir, bien qu’il soit désormais légal dans un petit nombre de pays, dont le nôtre, reste très controversé sur le plan éthique. Un grand nombre de médecins, d’éthiciens, d’autres chercheurs et personnes compétentes et dévouées du monde entier la considèrent comme contraire aux objectifs de la médecine et au bien du patient. En effet, l’Association médicale mondiale, lors de la 70e Assemblée générale de l’Association médicale mondiale à Tbilissi (Géorgie) en octobre 2019, a réaffirmé que « L’Association médicale mondiale  est fermement opposée à l’euthanasie et au suicide assisté par un médecin », et « qu’aucun médecin ne devrait être forcé de participer à l’euthanasie ou au suicide assisté, et aucun médecin ne devrait être obligé de prendre des décisions d’orientation à cette fin ».

Une exigence d’orientation efficace dans le Code international d’éthique médicale serait en contradiction directe avec la politique bien établie de l’Association médicale mondiale.

Depuis que « l’aide médicale à mourir » (AMM) est devenue légale au Canada en 2016 pour les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible, nous observons chez certains professionnels de santé une tendance à sauter directement et prématurément à la mort comme option lorsqu’elle est demandée, voire à la proposer à des patients qui n’avaient pas pensé à la solliciter. Cela n’est pas surprenant dans le contexte d’un système de soins de santé surchargé d’une part, et de la glamourisation de l’AMM dans le discours public d’autre part. D’après notre expérience, la plupart des souhaits de mort exprimés par patients sont l’expression de la peur de l’inconnu dans une situation de maladie grave, et sont surmontés avec l’assurance d’un accompagnement et de soins compétents, y compris un excellent contrôle des symptômes. Dans le contexte de la maladie mentale, ces désirs sont souvent des symptômes de la maladie, auxquels il convient de répondre par des stratégies de prévention du suicide.

Les défis que nous avons connus depuis 2016 s’appliquent désormais à un nombre beaucoup plus important de patients, depuis l’adoption d’une nouvelle loi canadienne, le 17 mars 2021, qui autorise «  l’aide médicale à mourir » pour les personnes atteintes d’une maladie ou d’un handicap physique ou mental grave et qui ne sont pas en fin de vie.

La grande majorité des patients confrontés à une maladie grave veulent continuer à vivre et il existe un besoin de médecins qui les accompagneront sans faiblir, tout en les guidant dans les choix de soins nécessaires qu’ils doivent faire à l’approche de la mort naturelle. De nombreux Canadiens craignent que les médecins ne les orientent vers un choix de l’AMM contraire à leurs souhaits, et cherchent à être rassurés que leur médecin traitant ne le fera jamais.

Cependant, il existe déjà de nombreux exemples de médecins incapables de remplir cette mission en raison de réglementations coercitives qui les obligent à initier le processus de demande de l’AMM pour chaque patient qui exprime un désir de mort, ou à le référer à un collègue qui le fera.

Une résidente en médecine interne nous a récemment parlé d’un patient dont elle s’occupait et qui souhaitait mourir après un infarctus du myocarde. Les autres membres de l’équipe étaient prêts à entamer immédiatement le processus de demande de l’AMM, malgré le taux élevé de dépression bien connu dans cette situation. Le résident a insisté pour obtenir une consultation en psychiatrie, ce qui a été fait, et le patient s’est avéré être gravement déprimé, suicidaire et incapable de consentir à l’AMM. Ce type de situation est malheureusement très fréquent, mais pas toujours très collégial; le médecin qui s’oppose est souvent ignoré, contourné ou contraint à collaborer.

Bien que la loi canadienne n’oblige pas les médecins qui s’opposent à l’AMM à transférer leurs patients à un autre médecin pour qu’ils y aient accès, certains collèges provinciaux de médecins l’exigent. D’autres collèges ont des systèmes qui respectent la conscience et l’intégrité professionnelle d’un individu tout en maintenant l’accès des patients aux services controversés. Si un patient persiste dans son désir d’avoir recours à l’AMM après avoir discuté de ses préoccupations et des autres options, le médecin qui s’y oppose peut se retirer du chemin qui y mène, sans abandonner le patient ou interférer avec l’accès. 

La politique la plus coercitive est celle du  « College of Physicians and Surgeons of Ontario » (CPSO), qui exige des praticiens qu’ils créent une voie vers la mort par le biais d’un aiguillage efficace. Elle a été maintenue malgré la présence d’autres options qui respecteraient à la fois le choix du patient et l’intégrité professionnelle. Par exemple, le patient pourrait chercher un autre professionnel de la santé, ou pourrait simplement contacter Télésanté Ontario, un service téléphonique gratuit et confidentiel, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, qui fournit des conseils et des informations sur la santé, et son dossier pourrait être transféré à un autre praticien de son choix.

Il s’agit de la politique la plus coercitive au monde. Aucune donnée provenant d’autres juridictions où l’AMM/l’euthanasie est légale ne suggère que l’objection du médecin constitue un obstacle à l’accès.

Forcer un médecin à orienter un patient vers une procédure qu’il considère comme nuisible constitue une grave violation de la liberté de conscience. La conscience du médecin n’a rien à voir avec le caprice ou le goût. C’est un ensemble de croyances profondément ancrées sur ce qui est vrai et bon. C’est la même force qui pousse un médecin à maintenir un niveau professionnel élevé et à agir dans le meilleur intérêt du patient, à dire la vérité, à respecter la confidentialité, à s’abstenir de profiter des patients et à respecter toutes les autres exigences de la médecine éthique. Un médecin qui viole une exigence de son code moral par crainte d’une action disciplinaire peut difficilement s’attendre à ce qu’il maintienne toutes les autres face aux nombreuses pressions inhérentes à la pratique médicale.

La liberté de conscience et de jugement professionnel protège les patients et l’intégrité de la relation médecin-patient. Elle protège la diversité de la profession médicale en incluant des médecins ayant une variété d’opinions légitimes. Il est contraire à l’éthique et injustifié de contraindre les médecins à participer à l’AMM lorsque cela est contraire à leurs opinions légitimes et profondes sur ce qui est bon pour un patient. Elle porte atteinte à l’intégrité du médecin dans tous les aspects de sa pratique.

Nous demandons instamment à l’Association médicale mondiale de rester fidèle aux principes qui ont inspiré sa fondation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et des procès de Nuremberg. Vous avez l’obligation de protéger les médecins afin qu’ils ne soient pas obligés de soumettre leur conscience à la réglementation de l’État ou à la pression de la société.

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente

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