Au début d’octobre, le Collectif des médecins contre l’euthanasie a présenté une soumission au Comité d’experts de l’CAC sur l’aide médicale à mourir. Le panel a été convoqué à la demande de l’ex-ministre canadienne de la Santé, Jane Philpott, et du ministre canadien de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour examiner la possibilité d’élargir l’accès à l’euthanasie à trois cas: les demandes faites par des “mineurs matures”, les demandes anticipées et les demandes se rapportant à des situations où la maladie mentale est le seul problème de santé sous-jacent. Pour plus d’informations, veuillez consulter le site officiel >>
Voici notre prise de position à l’intention du comité:
Prise de position concernant les demandes d’aide médicale à mourir faites par des « mineurs matures », les demandes anticipées et les demandes relatives à des situations où la santé mentale est le seul problème de santé sous-jacent
6 octobre 2017
Depuis 2012, le Collectif des médecins contre l’euthanasie s’est avéré être un acteur important dans le débat touchant ce qui s’appelle maintenant « l’aide médicale à mourir » (AMM). Plusieurs de ses membres avaient déjà pris position individuellement bien avant sa création. Le Collectif regroupe 1123 membres médecins[i] signataires de notre Déclaration[ii] sur la façon optimale de donner les soins de fin de vie sans euthanasie. Même si nous nous opposons à l’euthanasie pour des raisons médicales et philosophiques, nous comprenons que le mandat du Comité actuel n’est pas de rouvrir le débat qui a précédé l’adoption de la Loi C-14, mais plutôt de vérifier la pertinence d’étendre l’AMM à d’autres groupes de Canadiens.
Tous ceux qui participent à la discussion actuelle doivent reconnaître que personne n’arrive à la table sans position préconçue, c’est-à-dire sans « biais », en faveur ou en défaveur de l’AMM.Certains la considèrent comme une possibilité si avantageuse pour ceux qui la choisissent qu’ils admettent et minimisent le risque de mort prématurée chez d’autres patients. D’autres considèrent toute mort prématurée et provoquée volontairement comme un mal à éviter. Ceux qui prétendent être neutres par rapport à cette question se trompent et dupent les autres. Le récent changement au sein du leadership du Groupe de travail sur les demandes anticipées nous indique qu’un des biais mentionnés ci-haut semble acceptable aux yeux des preneurs de décisions alors que l’autre ne l’est pas.
Tous les membres du comité devraient garder cette situation en tête alors qu’ils poursuivent leur étude des preuves reliées à l’acceptabilité des trois extensions légales maintenant envisagées. Les preuves présentées par les différentes parties reflèteront leurs convictions. Dans ce domaine, il existe peu de preuves irréfutables puisque nous sommes en terrain inconnu. En effet, l’AMM, appliquée aux trois cas qui nous intéressent, n’est légale que dans de rares pays et les statistiques disponibles sont peu nombreuses. Le fait qu’on ne puisse pas trouver de preuves solides démontrant que l’AMM nuit aux groupes vulnérables auxquels l’euthanasie pourrait être rendue disponible ne prouve pas qu’il n’existe aucun risque à son implantation. En effet, il est pratiquement impossible de démontrer que les patients, pris individuellement, n’ont pas souffert de coercition ou de préjudice.
Certains ont tenté de démontrer que les groupes vulnérables ne sont pas surreprésentés parmi ceux qui meurent par euthanasie ou par suicide assisté,[iii] mais les catégories socio-économiques qu’ils utilisent (femmes, minorités raciales, personnes ayant une faible éducation ou un faible statut économique) sont peu pertinentes dans le contexte qui nous intéresse.[iv] Les médecins membres de notre Collectif ont une expérience clinique collective très vaste qui s’étale sur plusieurs années auprès de patients de tous les âges et de toutes les conditions sociales. Cette expérience n’est peut-être pas quantifiable mais s’avère malgré tout très importante. Au fil des années, nous avons vu l’ambivalence des souhaits de mort; nous les avons vus s’estomper avec les traitements adéquats et le soutien nécessaire; nous avons constaté des sentiments de soulagement lors de l’échec de tentatives de suicide.[v] Nous avons vu des patients craintifs d’imposer un fardeau à leurs familles et n’osant pas partager ces sentiments. Nous avons vu des personnes âgées protéger leur abuseur puisqu’il était aussi leur seule source de réconfort. La brève étude de cas d’un patient, présentée par le Dr Balfour Mount – pionnier canadien des soins palliatifs – et relatant l’histoire d’un brillant professionnel vivant la phase terminale d’un cancer,[vi] démontre que la vulnérabilité peut être rencontrée même dans les endroits les plus surprenants.
Au cours du débat très tendancieux qui a précédé l’adoption de la loi, certains arguments en faveur de l’euthanasie ont été fondés sur des histoires dramatiques impliquant une souffrance extrême, ce qui a amené le public, ainsi que plusieurs politiciens, à croire que l’AMM serait utilisée seulement dans des situations semblables. Des événements subséquents impliquant des personnes euthanasiées à cause de douleurs arthritiques,[vii] de troubles psychiatriques traitables[viii] ou d’une peur de perdre son autonomie,[ix] ont prouvé le contraire. La rhétorique est passée d’une euthanasie présentée comme étant une rare exception, à la promotion de la mort en tant que solution s’appliquant à toutes sortes de souffrances. Le critère d’une « mort raisonnablement prévisible » est déjà bafoué[x] et deux cas actuellement présentés devant les tribunaux pourraient aboutir à son retrait de la loi.[xi] [xii]
Nous encourageons fortement tous les membres du « Comité d’experts du CAC sur l’aide médicale à mourir » à demeurer pleinement conscients que parmi tous les groupes de personnes qui ont accès à l’AMM, il y aura des erreurs, des charges émotives intenses et une manipulation de l’information qui mèneront à la mort de personnes qui n’auraient pas choisi cette issue dans un contexte social et politique différent, auxquelles viendront s’ajouter d’autres personnes qui n’ont pas fait ce choix. Nous vous lançons un appel à ne pas considérer seulement comment ces extensions peuvent être gérées de façon « sécuritaire » mais plutôt si elles doivent être permises. Comme nous l’avons appris l’année dernière, il est impossible d’agir en toute sécurité. Nous croyons toutefois que la mort injuste d’un seul Canadien est un prix trop cher payé pour obtenir la soi-disant liberté de choisir de mourir à un moment difficile de sa vie.
Les trois extensions à l’étude soulèvent toutes de sérieuses préoccupations reliées au consentement. La capacité des adolescents à consentir n’est pas tout à fait développée, celle des personnes suicidaires à cause d’une maladie mentale est altérée par la maladie et, dans le cas des personnes inaptes, le consentement préalable, donné avant la maladie, est insuffisant. Une décision aussi sérieuse que celle de la mort doit nous amener à nous référer à des normes très élevées afin de protéger tous les Canadiens d’une mort prématurée.
Demandes faites par des “mineurs matures”
Les arguments favorables à l’extension de la législation actuelle aux « mineurs matures » sont basés sur une prétendue injustice empêchant les mineurs d’avoir accès au « bénéfice » d’une mort prématurée au même titre que les adultes de 18 ans et plus. L’âge de la majorité varie selon les pays et ne représente pas les résultats des recherches les plus récentes sur le développement du cerveau par les neurosciences. Dans certains états américains, il est fixé à 21 ans. L’âge légal pour la consommation d’alcool est aussi de 21 ans aux États-Unis. Notons par ailleurs que la mort prématurée d’une jeune personne, surtout si elle est causée par une décision apparemment libre et informée, ne peut, en aucun cas, être considérée comme un bénéfice.
Le concept de « mineur mature » est une construction légale plutôt qu’un concept médical et il a été critiqué abondamment dans la littérature.[xiii] [xiv] De récentes découvertes médicales et neuroscientifiques indiquent, au contraire, que le jugement d’une jeune personne n’est mature que quelques années après son entrée dans l’âge adulte. Ces faits amènent donc une controverse considérable par rapport au sujet qui nous intéresse. D’ailleurs, au niveau du droit pénal, la tendance semble s’être inversée, diminuant la responsabilité criminelle des adolescents coupables d’une offense, en raison de l’immaturité de leur cerveau en développement. [xv]
L’Association Canadienne de Protection Médicale (ACPM) affirme que « l’âge légal de majorité est devenu largement inutile »[xvi] pour consentir à des soins médicaux et que la maturité de l’enfant ainsi que sa capacité à consentir ont préséance. La tendance est toutefois très différente lorsqu’il est question de l’attribution des permis de conduire : la prudence envers les jeunes conducteurs est de mise, le processus d’obtention du permis est rallongé et les circonstances dans lesquelles les adolescents peuvent conduire sont restreintes.[xvii]
La décision de choisir la mort est bien différente de toutes les décisions énumérées précédemment et il existe peu d’information, voire aucune, sur laquelle s’appuyer. Cette décision est unique puisqu’elle est irréversible. Elle est aussi complètement différente de celle de refuser ou d’interrompre un traitement médical.
On sait maintenant que le cerveau des adolescents n’est pas complètement développé avant la mi-vingtaine. Selon Cherry (2013),[xviii] « les données empiriques ainsi que les données anatomiques et physiologiques prouvent qu’il n’existe pas de lien explicite entre la capacité intellectuelle de l’adolescent à évaluer le risque et la capacité exécutive de cet adolescent à poser un jugement responsable par rapport à ce même risque. » Un adolescent peut donc parfaitement expliquer les risques et les bénéfices reliés à une décision donnée sans être capable de poser un jugement adéquat sur la manière d’appliquer ces connaissances théoriques. Ces constatations vont à l’encontre des recommandations de l’ACPM et d’autres autorités qui affirment que la capacité d’un enfant à « répéter » l’information significative suffit à déterminer sa capacité à prendre une décision.
Un rapport de l’American Academy of Pediatrics (2016) déclare que : « De nouvelles connaissances sur la structure et la fonction du cerveau permettent difficilement de faire la distinction entre les mineurs qui possèdent la maturité nécessaire à la prise de décision et ceux qui ne l’ont pas… Même si le cerveau atteint sa taille adulte pendant la petite enfance, nous savons… qu’une grande partie du cerveau subit des changements dynamiques au niveau du volume de sa matière grise et de sa myélinisation au cours de la vingtaine. Le cortex préfrontal, où plusieurs fonctions exécutives sont coordonnées – incluant l’évaluation des risques et des récompenses – fait partie des zones du cerveau qui mûrissent le plus tard. En effet, ces fonctions atteignent leur plein potentiel au cours des premières années de l’âge adulte.
La recherche en neuropsychologie cherchant à relier les comportements adolescents – comme la recherche de sensations et la prise de risques – à la structure et à la fonction du cerveau se poursuit… Une des théories affirme que les adolescents suivent un modèle de prise de décision basé sur un double système. Le système socio-émotionnel, situé dans les zones limbique et paralimbique, se développe autour de la puberté à cause de l’activité dopaminergique accrue et se manifeste par un comportement basé sur la recherche de récompenses. De son côté, le système de « contrôle cognitif », situé dans le cortex préfrontal, cherche l’autorégulation et le contrôle des impulsions. Il se développe graduellement pendant la vingtaine. Ce déséquilibre temporaire ou cet écart entre les deux systèmes peut porter les adolescents à adopter un comportement risqué et il a été comparé au fait d’allumer le moteur d’une automobile sans s’assurer que le véhicule serait ensuite dirigé par un conducteur qualifié. »[xix]
L’un de nous (RH) rapporte avoir rencontré, dans sa pratique, Myriam (nom fictif) une adolescente de 16 ans, arrivée déprimée à son bureau puisqu’elle avait échoué son examen et vécu une rupture amoureuse. Myriam voyait seulement de la noirceur autour d’elle. Elle avait perdu tout intérêt envers ses autres amis et envers les activités qui la rendaient heureuse auparavant. Elle ne voulait plus aller à l’école et elle était clairement déprimée. Quelques mois après avoir suivi une psychothérapie et avoir reçu une médication appropriée, Myriam était redevenue enthousiaste et pleine de vie.
Loin de vouloir favoriser l’accès des adolescents à « l’aide médicale à mourir », nous proposons de traiter leurs demandes et leurs choix avec une plus grande précaution jusqu’à ce qu’ils aient 21 ans, voire possiblement 25 ans. Le fait de limiter les « choix » de ces individus est largement compensé par la diminution du risque de décès prématurés ou choisis à tort par des jeunes, décès qui représentent toujours une tragédie pour eux et pour les personnes qui les entourent.
Demandes se rapportant à des situations où la santé mentale est le seul problème de santé sous-jacent
Au Canada, le suicide est un problème crucial de santé publique. Il représente actuellement la neuvième cause de décès et sa fréquence augmente.[xx] Le site web de l’Association canadienne de prévention du suicide le présente comme étant « une solution permanente à un problème temporaire »[xxi] et affirme que « Si vous êtes incapable de penser à d’autres options que le suicide, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’autres solutions mais plutôt que vous n’êtes présentement pas capable de les voir ».[xxii] L’idée de permettre l’AMM comme solution à la souffrance due aux problèmes mentaux touche en plein cœur les stratégies de prévention du suicide, autant dans le milieu communautaire que dans la pratique psychiatrique. C’est entre autres pour cette raison que l’American Psychiatric Association a publié en 2016 une prise de position énonçant clairement « qu’un psychiatre ne devrait en aucun cas prescrire ou administrer un traitement à un patient qui n’est pas en phase terminale dans le but de causer sa mort. »[xxiii]
Peu importe si l’on perçoit parfois le suicide comme un choix rationnel plutôt qu’un symptôme de maladie mentale, il devient presqu’impossible de faire la distinction entre ces deux possibilités en présence d’une telle maladie. Le rôle du médecin est de protéger le patient suicidaire en retirant les moyens létaux[xxiv] ou, au besoin, en confinant le patient dans un hôpital contre sa volonté. De façon semblable, le travailleur communautaire en prévention du suicide doit convaincre la personne de ne pas poser de geste grave et de faire une demande d’aide psychiatrique.
La légalisation de l’AMM pour les personnes atteintes de maladie mentale rendrait ce travail impossible. Nous avons déjà vu le scénario se dérouler au Québec : quelques mois après l’adoption de la loi sur l’euthanasie, le Collège des médecins du Québec a perçu le besoin de publier des lignes directrices[xxv] sur la manière d’aborder les patients amenés à l’hôpital après avoir prise une surdose de drogue. En effet, certains médecins s’abstenaient de les traiter, considérant leur tentative de suicide comme étant l’expression de leur refus de traitement.
Un patient suicidaire est souvent réticent à s’engager dans une thérapie puisqu’il est attiré par l’option de la mort. Par conséquent, le fait de dire à un patient que l’AMM est disponible si la thérapie échoue, minerait le processus thérapeutique dès le début.[xxvi] De façon semblable, le simple fait que l’AMM soit légale pourrait avoir le même effet étant donné que le patient saurait qu’il pourrait la demander ailleurs si le médecin traitant refusait de la lui fournir. Dans toute rencontre clinicien-patient, le rôle du transfert et du contre-transfert, ainsi que « le risque que le psychiatre s’identifie trop au patient et à sa situation (pouvant toucher la crainte du médecin de vivre la solitude, la dépendance, la maladie ou un handicap)… » n’ont pas été suffisamment pris en considération.
L’accès aux services de santé mentale est un autre facteur important dans cette problématique. Au Canada, le temps d’attente pour recevoir des soins psychiatriques se situe entre plusieurs mois et un an.[xxvii] Même après ce temps, certains patients souffrant de désordres complexes peuvent ne pas avoir accès à un psychiatre ayant l’expertise nécessaire pour leur offrir un traitement efficace. Les erreurs de diagnostic peuvent aussi donner l’impression que la souffrance d’un patient est irrémédiable alors que certaines options thérapeutiques n’ont pas été explorées.
Le fait que le suicide n’est pas illégal n’implique pas un devoir de fournir les moyens nécessaires au suicide. La profession médicale, particulièrement la psychiatrie, doit rejeter l’AMM puisqu’elle mine les soins offerts aux patients les plus vulnérables en transmettant des messages contradictoires et en retirant les outils nécessaires au traitement de leurs maladies.
Demandes anticipées
La proposition visant à permettre l’AMM par demande anticipée à une personne inapte constitue une réponse qui s’adresse à la peur d’une souffrance future hypothétique plutôt qu’à une souffrance actuelle. Nos principales inquiétudes concernant cette possibilité incluent la validité discutable des directives préalables écrites en tant qu’outils de prise de décision, le manque de consentement concomitant au moment de la mort, et le réel danger d’abus des personnes âgées.
Malgré la popularité des directives préalables écrites destinées à guider les décisions médicales dans l’éventualité d’une perte d’aptitude, leur utilité n’apparaît pas clairement lorsqu’elles sont utilisées seules. La plupart des recherches portant sur leur efficacité ont ciblé des résultats intermédiaires comme l’application d’une directive préalable ou l’occurrence de discussions portant sur la fin de la vie, plutôt que sur la cohérence entre les soins souhaités et les soins prodigués.[xxviii] Les obstacles à l’applicabilité des directives écrites incluent la difficulté à envisager les événements futurs lorsque la personne est en santé, ainsi que l’impossibilité de prévoir tous les scénarios médicaux possibles. Plusieurs ont conclu que ces documents « promettent plus de contrôle sur les soins futurs qu’il soit possible d’en donner »[xxix]. Les outils éducatifs maintenant largement utilisés ont tendance à favoriser la réflexion et la discussion plus que la rédaction d’un document écrit.[xxx]
La possibilité de choisir – en pleine possession de ses moyens – de terminer sa vie au moment où apparaîtra un certain degré de manque d’autonomie ou une incapacité, est maintenant répandue mais plusieurs risques éthiques s’y rattachent. Une telle directive est différente, non en degré mais en nature, de celle qui autorise la limitation de l’acharnement thérapeutique dans le cas d’une maladie critique ou terminale, ce qui revient à choisir de laisser la maladie progresser naturellement.
Dans le cas des troubles cognitifs, la directive nie le droit de la personne de changer d’idée. Elle exige que le médecin provoque directement la mort d’une personne qui ne demande pas à mourir, tel que l’illustre le cas récent d’une femme néerlandaise qui a été maîtrisée, sous sédation et euthanasiée contre sa volonté afin de se conformer à la directive.[xxxi] Cette manière de procéder lie la personne inapte à la décision qu’elle a prise dans le passé, malgré le fait qu’elle est toujours consciente, capable d’interagir et de profiter de la vie, sans compter le fait qu’elle peut avoir une nouvelle perspective sur la vie et que ses souhaits ne sont plus ceux qu’elle avait formulés lorsqu’elle était apte légalement. Les personnes atteintes de démence ont souvent une perception meilleure de leur propre qualité de vie que le personnel soignant.[xxxii] Il n’y a aucune raison de ne pas respecter les volontés d’une personne inapte dans la mesure où elles ne présentent pas de risque pour elle-même.[xxxiii]
Aux Pays-Bas, l’euthanasie par demande anticipée est permise mais elle demeure controversée et rarement utilisée, surtout à cause de l’impossibilité de connaître les volontés actuelles du patient.[xxxiv] En 2017, un groupe de médecins néerlandais ont contesté cette pratique : « Notre réticence morale à terminer la vie d’un être humain sans défense est trop grande », ont-ils écrit. Certains médecins spécialisés en euthanasie faisaient partie des signataires.[xxxv]
En 2007, l’auteur universitaire néerlandais Boris Brummans a écrit un article intitulé Mort par document,[xxxvi] portant sur l’euthanasie de son père, demandée par directive anticipée : « Même si l’euthanasie était destinée à libérer mon père des contraintes conventionnelles du suicide, sa forme textuelle et déclarative l’ont rendu prisonnier de lui-même… en signant sa déclaration d’euthanasie… mon père a fait de lui-même et pour lui-même un personnage qui transcendait l’espace et le temps en se basant sur la personne qu’il prévoyait devenir. Sur quoi étaient fondées ses pensées? Images vides d’une identité qui n’était pas encore vécue, piètres idées d’une vie qui n’était pas encore réelle. »
D’autres préoccupations apparaissent lorsque la directive est écrite au moment du diagnostic. Le diagnostic de démence – comme tout autre diagnostic de maladie grave – déclenche une crise existentielle majeure. Ceux qui, parmi nous, ont vécu des crises moins intenses, savent que notre jugement n’est pas à son meilleur lorsqu’il est assailli par des émotions accablantes, des peurs et des questions. Dans ces moments-là, la plupart des gens sont assez raisonnables pour remettre les décisions cruciales à plus tard afin de retrouver leur calme et leur disponibilité d’esprit. Mais lorsqu’une personne reçoit un diagnostic de démence, le temps passe rapidement et la directive anticipée doit être signée avant que l’aptitude décisionnelle soit perdue.
Finalement, le risque d’abus des personnes âgées est omniprésent.[xxxvii] Même les personnes n’ayant pas de limitations cognitives dépendent souvent de la génération suivante, autant au niveau émotionnel qu’au niveau des soins leur permettant de maintenir leur autonomie et de s’adapter à un monde qui a beaucoup changé. Lorsque les capacités cognitives commencent à s’affaiblir, la dépendance augmente et on constate un déséquilibre des forces. Même les familles bien intentionnées envoient parfois un message subtil indiquant que les soins à prodiguer sont lourds à porter. Lorsque les aidants abusent de leur pouvoir, le rapport de force peut les amener à insister d’une façon excessive pour que des documents légaux – comme un testament ou un mandat de protection (procuration durable) – soient signés en leur faveur.[xxxviii] [xxxix] L’une d’entre nous (CF) possède une vaste expérience clinique par rapport à ces situations et a souvent témoigné devant les tribunaux en faveur de patients, par exemple pour une dame dont l’histoire fut racontée en 2016 dans le journal The Gazette.[xl] Les soins offerts à domicile ou en résidence privée sont très dispendieux dans le cas d’une personne âgée devenue dépendante. Ils peuvent rapidement réduire l’héritage attendu par la génération suivante. Les directives anticipées autorisant la mort pourraient représenter un nouvel outil pour les héritiers avares.[xli]
Conclusion:
Le Canada fait partie d’un tout petit nombre de pays où il est légal de terminer activement la vie d’une personne malade. L’Association médicale mondiale[xlii] ainsi que la presque totalité des associations médicales nationales s’opposent à l’euthanasie. La décision que notre pays a prise en étant entièrement conscient du fait que les Canadiens ont un accès inadéquat aux soins palliatifs et aux soins de la douleur, représente une grande erreur. Dans un contexte où les soins de santé mentale sont inaccessibles et où l’abus des aînés est incontrôlé, le fait d’offrir une mort prématurée à des personnes qui ne sont pas en fin de vie et qui ne sont pas capables d’y consentir pleinement, constituerait le summum de l’insouciance et du mépris envers le bien-être de nos citoyens. Nous faisons nôtre l’opinion exprimée par l’American College of Physicians en septembre 2017 : « L’ACP n’appuie pas la légalisation du suicide médicalement assisté par un médecin puisque cette pratique pose des problèmes éthiques, cliniques et cause d’autres préoccupations. L’ACP et ses membres, incluant ceux qui pourraient légalement pratiquer le suicide médicalement assisté, devraient s’assurer que tous les patients peuvent compter sur des soins de grande qualité jusqu’à la fin de leur vie, soins basés sur la prévention ou le soulagement de la souffrance dans la mesure du possible, l’engagement envers la dignité humaine, la gestion de la douleur et des autres symptômes, ainsi que le soutien des familles. Les médecins et les patients doivent continuer à chercher ensemble des réponses aux défis rencontrés par ceux qui vivent avec une maladie grave avant leur mort. »[xliii]
Catherine Ferrier, MD, CCFP (COE), FCFP
Division de gériatrie, Centre de santé universitaire McGill
Assistant Professor of Family Medicine, McGill University
Richard Haber, MD, FRCPSC
Pédiatre, Centre de santé universitaire McGill
Associate Professor of Pediatrics, McGill University
Nicholas Newman, MD, FRCPSC
Chirurgien orthopédique, Centre hospitalier de l’Université de Montréal
Professeur agrégé de clinique, Département de chirurgie, Université de Montréal
François Primeau, MD, FRCP
Fondateur, Psychiatrie gériatrique, Collège royal des médecins et des chirurgiens du Canada
Chargé de recherche, Association des psychiatres du Canada
Professeur titulaire de clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Université Laval
Pour le Collectif des médecins contre l’euthanasie
[i] https://collectifmedecins.org/le-manifeste/signataires/
[ii] https://collectifmedecins.org/le-manifeste/
[iii] Battin MP, van der Heide A, Ganzini L, et al. Legal physician-assisted dying in Oregon and the Netherlands: evidence concerning the impact on patients in “vulnerable” groups. Journal of Medical Ethics 2007;33: 591-597
[iv] Finlay IG, George R. Legal physician-assisted suicide in Oregon and The Netherlands: evidence concerning the impact on patients in vulnerable groups—another perspective on Oregon’s data. Journal of Medical Ethics 2011;37:171-174
[v] https://www.newyorker.com/magazine/2003/10/13/jumpers
[vi] https://www.youtube.com/watch?v=GbMhvPT2EfM (voir 7:00 à 13:50 minutes)
[vii] https://www.thestar.com/news/gta/2017/06/19/advocates-hail-judges-decision-in-womans-assisted-death-appeal.html
[viii] http://www.ctvnews.ca/health/albertan-with-same-mental-illness-as-adam-maier-clayton-had-doctor-assisted-death-1.3380938
[ix] http://nationalpost.com/news/canada/the-right-to-die-on-ones-own-terms-at-94-sick-tired-and-living-alone-dad-got-the-death-he-wanted
[x] https://www.thestar.com/news/gta/2017/06/19/advocates-hail-judges-decision-in-womans-assisted-death-appeal.html
[xi] https://beta.theglobeandmail.com/news/politics/rights-group-launches-legal-challenge-of-assisted-dying-law/article30623211/?ref=http://www.theglobeandmail.com&
[xii] http://www.cbc.ca/news/canada/montreal/assisted-dying-quebec-canada-legal-challenged-1.4160016
[xiii] Partridge B. The mature minor: some critical psychological reflections on the empirical bases. J Med Philos. 2013 Jun; 38(3): 283-99
[xiv] Cherry MJ, Ignoring the data and endangering children: why the mature minor standard for medical decision making must be abandoned. J Med Philos. 2013 Jun; 38(3): 315-31
[xv] Bonnie RJ and Scott ES, The teenage brain: adolescent brain research and the law. Current directions in psychological science, Volume 22, issue 2, pages 158-161.
[xvi] https://www.cmpa-acpm.ca/fr/advice-publications/browse-articles/2014/can-a-child-provide-consent
[xvii] Bonnie RJ and Scott ES, op. cit.
[xviii] Cherry MJ, op. cit.
[xix] American Academy of Pediatrics, Technical report: Informed Consent in Decision-Making in Pediatric Practice. 2016: http://pediatrics.aappublications.org/content/early/2016/07/21/peds.2016-1485
[xx] https://suicideprevention.ca/understanding/suicide-in-canada/
[xxi] https://suicideprevention.ca/need-help/
[xxii] Ibid
[xxiii] https://www.psychiatry.org/home/policy-finder
[xxiv] Zalsman G et al, Suicide prevention strategies revisited: 10-year systematic review. Lancet Psychiatry 2016; 3: 646–59.
[xxv] http://www.cmq.org/publications-pdf/p-1-2016-03-08-fr-geste-suicidaire-expression-refus-de-traitement.pdf?t=1506903527294
[xxvi] Pols, H., Oak, S., 2013. Physician-assisted dying and psychiatry: Recent developments in the Netherlands. International Journal of Law and Psychiatry. 36:506-514.
[xxvii] Fraser Institute. Barua B, Ren F. Waiting Your Turn- Wait Times for Health Care in Canada, 2016 Report. https://www.fraserinstitute.org/sites/default/files/waiting-your-turn-wait-times-for-health-care-in-canada-2016.pdf
[xxviii] Houben et al. Efficacy of Advance Care Planning: A Systematic Review and Meta-Analysis. JAMDA 15 (2014) 477e489.
[xxix] Perkins, Henry S. Controlling Death: The False Promise of Advance Directives. Annals of Internal Medicine, July 3, 2007.
[xxx] http://www.planificationprealable.ca
[xxxi] http://www.independent.co.uk/news/world/europe/doctor-netherlands-lethal-injection-dementia-euthanasia-a7564061.html
[xxxii] Zucchella C et al, Quality of life in Alzheimer disease: a comparison of patients’ and caregivers’ points of view. Alzheimer Dis Assoc Disord. 2015 Jan-Mar;29 (1):50-4
[xxxiii] http://www.alzheimer.ca/fr/Living-with-dementia/Caring-for-someone/Making-decisions
[xxxiv] Pols, H., Oak, S, op. cit.
[xxxv] https://nltimes.nl/2017/02/10/dutch-doctors-euthanasia-advanced-dementia-patients
[xxxvi] Brummans, Boris H. J. M. Death by Document: Tracing the Agency of a Text. Qualitative Inquiry 2007 13: 711.
[xxxvii] https://cnpea.ca/images/canada-report-june-7-2016-pre-study-lynnmcdonald.pdf
[xxxviii] https://assetsforcare.seniorsrights.org.au/relationship-breaks-down/equity/undue-influence-unconscionable-dealing/
[xxxix] http://www.donnellgroup.ca/resources/estate-litigation-articles/undue-influence-canada
[xl] http://montrealgazette.com/news/veronika-piela
[xli] https://www.mercatornet.com/careful/view/elder-abuse-a-real-and-present-danger/20318
[xlii] https://www.wma.net/fr/policies-post/declaration-de-lamm-sur-leuthanasie/
[xliii] http://annals.org/aim/article/2654458/ethics-legalization-physician-assisted-suicide-american-college-physicians-position-paper