La caricature du médecin objecteur de conscience

Chers amis,

Les médecins canadiens qui refusent de causer directement la mort de leurs patients, c’est-à-dire la quasi-totalité des membres de la profession, sont soudainement devenus des cas à part depuis la promulgation de la loi sur « l’aide médicale à mourir ». Les sondages sont flous, ceux-ci étant le plus souvent biaisés, et aucun doute ne subsiste quant au fait que le lobby pro-euthanasie détient l’attention des médias, des influenceurs et des politiciens et ce, bien avant que nous ne sachions ce qu’il planifiait. Quoi qu’il en soit, nous sommes maintenant avertis que l’euthanasie est un « traitement médical » accepté qui doit être administré à ceux le requérant. Beaucoup de collèges de médecins provinciaux s’attendent à ce que nous participions à l’euthanasie, non pas en euthanasiant les patients eux-mêmes, mais à un degré différent, en rendant accessible leur euthanasie par quelqu’un d’autre.

Étant au courant de la peur ressentie par un grand nombre de médecins objecteurs de conscience quant à d’éventuelles plaintes ou poursuites judiciaires, le Collectif des médecins contre l’euthanasie a demandé à l’Association canadienne de protection médicale de venir parler à notre dernière série de conférences Améliorer les soins, tenue à Montréal le 6 avril 2019. La demande a été généreusement acceptée. La conférence portait comme nom Questions médico-légales concernant l’AMM et les soins de fin de vie. Elle comprenait un excellent survol des prérequis provinciaux en matière de référence, de transfert de soins et/ou de transmission d’informations aux patients qui demandent l’AMM.

Sans surprise, à propos de la manière de prévenir des problèmes médico-légaux, on nous recommanda ceci: « Informez vos patients. Ne tombez pas dans le jugement ou l’imposition de vos propres croyances. N’abandonnez pas vos patients. » Intentionnelle ou pas, la réponse du conférencier fut la même que celle que nous entendons quant à cette problématique: « Vous, les médecins objecteurs de conscience, vous êtes les méchants. Vous êtes ceux qui essaient de protéger vos propres droits contre les droits des patients. Vous êtes ceux qui empêchent l’accès aux soins. »

L’un après l’autre, les auditeurs se sont mis à partager leurs profondes inquiétudes pour leurs patients et pour toute l’énergie déployée pour leur donner les soins dont ils ont besoin, en parallèle d’une loi offrant une solution rapide, se débarrassant non seulement des symptômes, mais aussi du patient. Le conférencier répondit à peu près : « Si c’est qui vous êtes… il n’y a aucun problème! Continuez de soigner les patients comme vous le faites! »

Voici ce que nous sommes.

Prenons le temps de lire cette histoire racontée par un médecin de famille, membre du Collectif:

Ma première « demande » d’AMM après sa légalisation venait d’une combattante, dépressive depuis longtemps. Elle apprenait tout juste son diagnostic de cancer du sein métastatique ainsi que son faible pronostic. J’ai été extrêmement perturbée par sa demande et je commençai à lui parler en stipulant clairement que je ne pourrai l’accompagner dans ce périple, étant donné que je ne croyais pas que cela fut bon pour elle ou n’importe qui d’autre ou pour la société. Je lui ai mentionné notre affection mutuelle et que je trouvais ce moment difficile pour moi. Je fus ensuite confrontée à ce qui semblait être des raisons inconsistantes quant à sa demande et sa détermination. Elle avait réponse à tout. Elle était très en colère contre sa famille qui, selon elle, la traitait mal à cause de son irascibilité grimpante. Elle exprimait aussi des sentiments de haine contre les gens qu’elle voyait dans la rue, en pleine vie, alors qu’elle se faisait voler la sienne.  

Je ne lui prodiguais pas vraiment de soins puisqu’elle était déjà suivie par un médecin en soins palliatifs et un oncologiste.  De plus, je croyais ne plus la revoir. Cependant, elle ne cessait de revenir pour discuter. Je m’arrangeais pour lui réserver ma dernière plage horaire en pensant lui donner mon temps. Mais ce que je recevais d’elle durant ces visites valait beaucoup plus. Elle parlait librement et me montrait des photos qui, pour elle, étaient importantes. Nous parlions de faire des mémos-vocaux pour les gens qu’elle quitterait. J’ai diminué sa dose de stéroïdes, ce qui diminua son irascibilité et sa colère. Je lui ai suggéré de prendre ce médicament en matinée, améliorant alors son sommeil et sa qualité de vie. Nous avons changé ses antidépresseurs. À la fin, ma patiente a décidé de mourir à la maison, de manière naturelle, laissant de côté l’AMM.  

Pourquoi cette patiente a-t-elle changé d’idée? Elle aurait pu demander à un autre médecin l’AMM, mais elle a choisi de continuer de visiter celle qui la lui a refusée. Peut-être est-ce parce que ce médecin avait vu de la valeur dans sa vie et qu’il l’a aidée à la voir aussi. Peut-être encore est-ce parce qu’elle a été aidée par ce médecin qui a soigné sa relation avec sa famille en utilisant son savoir médical ainsi que d’autres moyens. Et puis peut-être est-ce parce qu’elle l’a écoutée et accompagnée tout ce temps.

Ici vous voyez ce qu’est un médecin objecteur de conscience. Ce n’est pas la caricature du médecin enfermé dans sa tour d’ivoire, protégeant jalousement son idéologie et ses droits, jugeant et faisant la leçon aux patients, les abandonnant au moment où ils en ont le plus besoin. Jamais n’ai-je rencontré un tel médecin. Mais cette caricature, voilà l’idée qu’ont en tête les organismes de réglementation lorsqu’ils nous disent de nous reconvertir dans la médecine sportive, dans la chirurgie plastique ou en pathologie.

Les promoteurs de l’AMM les plus zélés diraient (ce qu’ils font d’ailleurs): « Cette patiente s’est vu refuser ses droits. Elle a demandé de mourir, on le lui a interdit. Ce médecin devrait être sanctionné. » De quelle manière une rapide intervention technique aurait-elle amélioré les derniers moments de cette patiente? Quelle approche est la plus marquée de compassion? Quelle mort est la plus digne? Laquelle rendra plus supportable le deuil de la personne décédée?

Pourquoi donc les objecteurs de conscience sont-ils scrutés au microscope par les organismes de réglementation alors que ces zélés ne le sont pas?

La légalisation de « l’aide médicale à mourir » a engendré une situation surréelle. Il s’agit de l’unique acte dans tout le domaine de la santé qui est considéré comme un « droit » pour le patient. Chaque canadien a effectivement le droit à la santé, mais pas à une procédure particulière. En tant que médecins, nous sommes formés à diagnostiquer et à recommander des traitements qui sont appropriés au problème apparent.

Un autre aspect de notre discussion pendant la session a été de demander au conférencier, qui est chirurgien, s’il exécuterait n’importe quel traitement que le patient demanderait. Il répondit qu’évidemment il ne le ferait pas. Réfèrerait-il à quelqu’un d’autre qui serait prêt à faire ce traitement demandé? Par exemple, pour une chirurgie qui serait inutile parce qu’un cancer aurait déjà métastasé? Sa réponse n’était pas si claire… pour la forme, oui, mais en vrai vie?

En médecine familiale, on ne prescrirait pas à un patient atteint d’une infection respiratoire aigüe des antibiotiques. Il existe une myriade d’exemples de ce genre. On appelle cela du professionnalisme, et non du paternalisme. Voilà ce qu’est la vraie médecine basée sur des faits, celle qui choisit avec discernement. Et pourtant, il n’y a pas de preuves qui appuient l’euthanasie comme étant un traitement contre n’importe quelle maladie. Cependant, les patients y ont droit. Ils peuvent dire : « Peu importe ce que tu peux faire pour atténuer mes souffrances; je veux mourir maintenant. » Et nous devons nous y plier. Comment cela améliore-t-il la vie de nos patients?

Est-ce que punir les médecins objecteurs de conscience ou les retirer de la profession améliorera-t-il les soins de santé?

Rendons l’euthanasie inimaginable.

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente

 

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