Remettre les pendules à l’heure

Les médecins canadiens confrontent les mythes de « neutralité » et de « justice »

Depuis la légalisation de l’euthanasie au Canada (désignée euphémiquement par « aide médicale à mourir »), on a constaté des réactions importantes au pays contre cette pratique, provenant autant de médecins que de patients, et dans lesquelles notre Collectif occupe une place active, que ce soit ici ou à l’étranger.

Il semble clair que de part et d’autre des camps, l’opinion internationale constitue un enjeu majeur de la lutte, parce que celle-ci décidera ultimement si l’histoire présentera la législation canadienne comme une étape importante de la pensée progressiste, ou bien si elle la répudiera comme attaque dangereuse, marginale et temporaire contre les principes humanistes toujours persistants qui reposent sur les cendres idéologiques de la Seconde guerre mondiale, avec la création de l’Association médicale mondiale (AMM) en 1947.

L’euthanasie est au centre de l’attention d’un débat mondiale et multigénérationnel, où les valeurs et les mœurs de la communauté médicale entrent vivement en contradiction avec des pressions politiques complexes qui promeuvent un « droit à mourir ». Traditionnellement, les médecins ont constamment soutenu que l’euthanasie n’est pas éthique et que les médecins ne doivent jamais être instrumentalisés collectivement dans le but de permettre l’implantation de programmes de mort administrée (desquels « l’aide médicale à mourir » fait partie).

Jusqu’à aujourd’hui, cette position a été maintenue par la vaste majorité des plus importantes associations médicales nationales, incluant le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France et les États-Unis. Ces pays ont condamné la pratique de l’euthanasie et se sont opposés à sa légalisation. Seule dans ce groupe, l’Association médicale canadienne (AMC) a choisi de ne pas représenter l’opposition majoritaire des médecins canadiens, laquelle, selon les mots du Dr Jeff Blackmer, vice-président de CMA (Journal de l’AMM, octobre 2017, deuxième paragraphe), « n’a cessé d’être démontré par les fréquents sondages ».

L’AMC a plutôt choisi une stratégie de collaboration proactive avec la nécessité politique, élevant prétendument au rang de vertu la participation active à l’élaboration de politiques. Mais avec l’opinion défavorable à l’euthanasie venant du corps médical au niveau mondial, l’Association médicale canadienne peut à la fois tenir ou tomber face au jugement historique de cette problématique spécifique.

Des dirigeants actuels de l’AMC ont entrepris une campagne systématique dont l’objectif est de faire progresser l’agenda de l’euthanasie sur la scène mondial. Leur stratégie semble être de promouvoir une vision rose-bonbon de l’euthanasie au Canada en tordant certains faits critiques tout en en omettant d’autres.

Quelques membres du Collectif des médecins contre l’euthanasie, en collaboration avec d’autres personnes et d’autres groupes, travaillent depuis quelques temps afin d’offrir un point de vue compensatoire aux initiatives générales de ces dirigeants de l’AMC. Ceci a pour effet de créer une sorte de bataille éditoriale de longue haleine pour les cœurs et les esprits de l’opinion médicale internationale.

Cela a débuté lorsque le Dr Jeff Blackmer de l’Association médicale canadienne a publié un texte pro-euthanasie dans le World Medical Journal (référence), coïncidant avec un article similaire publié par  des représentants de la Royal Dutch Medical Association.
Suiva alors la présentation, dans plusieurs conférences régionales, d’une proposition visant à mettre fin, ou du moins modifier, le désaveu de l’euthanasie par l’AMM.

Nous avons rapporté dans les dernières infolettres comment des médecins canadiens inquiets ont  publié deux critiques contre des articles de l’AMC et de la RDMA dans le World Medical Journal (numéro d’automne en page 17 et numéro d’hiver en page 33, 2018), en plus de rapporté comment certains se sont rendu à leurs propres frais à l’assemblée générale de l’AMM à Reykjavik en octobre 2018 afin de représenter la position de la majorité canadienne sur ce sujet. Aussi, nous avons rapporté la frustration de l’AMC face à l’opposition écrasante que l’organisation a rencontré à l’assemblée générale de la part d’autres nations. L’AMC a retiré sa résolution pour un changement à la politique de l’AMM, de même que son adhésion à  cet organisme, en arguant officiellement la raison du plagiat du discours du nouveau président de l’AMM (cette résignation a par la suite résonné avec celle de la Royal Dutch Medical Association).

Nous observons présentement que certains représentants de l’AMC – après leur échec temporaire à l’Assemblée générale de l’AMM – semblent résolus de poursuivre leur campagne de persuasion dans des pays particuliers, profitant de débats localisés selon le cas. Ainsi, le British Medical Journal a demandé au président-élu et au vice-président, santé internationale de l’AMC d’écrire des textes d’opinion pour ce Journal (janvier 2019, ici et ici), en faisant l’éloge de l’euthanasie au Canada, les textes ayant été programmés pour précéder un sondage attendu sur « l’aide à mourir » auprès des membres du Royal College of Physicians. Le RCP a décidé d’opter pour une position de « neutralité » sur cette pratique à moins que le deux tiers de ses membres s’y opposent ou l’appuient (le 21 mars, suite au sondage, auquel seulement 19% des membres ont répondu, le RCP a adopté une position « neutre »).

Un grand nombre de médecins canadiens et aussi d’autres gens ont immédiatement répondu à ces articles, proposant leurs propres argumentations, corrigeant la version des faits proposée par l’AMC (ici et ici) et démontrant la largeur et la profondeur de l’opposition à l’euthanasie au Canada. Les rédacteurs de BMJ ont choisi de tous les enterrer profondément dans la section « réponse rapide » de leur site Web, malgré les demandes requérants une égalité dans la visibilité.

Il est devenu évident au Canada que, même si l’AMC se dit soutenir les médecins des deux côtés du débat, une position de « neutralité » concernant la procédure en elle-même est intellectuellement intenable. Les membres de la direction de l’AMC ont eu à choisir un camp, et sans grande surprise, certains entre eux ont choisi de promouvoir l’euthanasie. Il est regrettable que le nom et la réputation de l’AMC soient ainsi associés à leur démarche.

La communauté médicale internationale mérite d’avoir accès à toutes les informations sur la pratique et les politiques de l’euthanasie au Canada, incluant le mythe de « neutralité » de l’AMC et le manque de justice quant aux « objecteurs de conscience ».

Peu importe les motifs de ses représentants, le résultat pratique de l’action de l’AMC aujourd’hui a été l’endossement d’un modèle canadien unique et radical qui normalise la pratique de l’euthanasie par la médecine, marginalisant progressivement les dissidents, ce qui par conséquent nie aux patients typiques et non-suicidaires des soins centrés sur la vie qu’ils méritent.

Nous espérons que d’autres bénéficieront de ces informations pour faire des choix plus avisés que ceux que le Canada a faits, afin d’arrêter et de renverser l’intrusion de l’euthanasie à l’intérieur de notre pratique médicale et de nos institutions, autant ici et qu’à l’étranger.

Voici une brève réfutation de la prétention que l’implantation de l’euthanasie au Canada est raisonnable et équilibrée.

  1. Les politiques régissant l’euthanasie au Canada ne représentent pas une approche typique ou courante. Elles incarnent plutôt une normalisation radicale de l’euthanasie bien au-delà des limites de la pensée et de la pratique de la médecine contemporaine. Les raisons :

a. L’euthanasie (par opposition au suicide assisté) n’est permise que dans une petite minorité de pays (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg et Colombie). Et dans ces pays, des protections additionnelles existent, incluant le droit alloué aux médecins de refuser de pratiquer l’euthanasie s’ils la considèrent ne pas correspondre au meilleur intérêt du patient.

b. La politique canadienne, unique par rapport aux autres pays et originellement écrite légalement dans la province de Québec, statue positivement que l’euthanasie est un soin médical normal, et que l’accès y est garanti à chaque individu s’y qualifiant. En fait, le modèle québécois permet seulement l’euthanasie, jamais le suicide médicalement assisté, ce qui par conséquent renforce la perception que ces morts sont des actes de médecine objectivement appropriés, et non pas des décisions suicidaires subjectives.

c. Les leaders du monde médical canadien, au mépris d’une tradition multimillénaire, ont invité les autorités judiciaires et légales à définir la pratique et l’éthique médicale, ce qui a sérieusement affaibli le statut de la médecine canadienne comme profession indépendante et autorégulatrice.

  1. La définition l’euthanasie comme soin médical, à l’intérieur du monopole universel de l’État sur les services de santé au Canada, a abouti à un modèle de mise en œuvre qui ne représente en aucun cas un équilibre juste et équitable des besoins et intérêts des médecins et patients de part et d’autre de cette question. Les raisons :

a. L’euthanasie doit être administrée dans tous les établissements de santé (il y a quelques exceptions minimes, qui subissent déjà des attaques ciblées et qui ne seront jamais élargies ou répétées).

b. Les patients qui se « qualifient » pour l’euthanasie ne peuvent dès lors échapper à la connaissance que d’autres qui partagent un diagnostic et un pronostic semblable au leur seront euthanasiés par le même personnel duquel ils dépendent pour leur propre survie.

c. On attend des professionnels de la santé travaillant dans toutes les institutions typiques de se conformer à l’euthanasie. Dans cette génération, peu d’exceptions sont permises pour le « refus de conscience », mais aucune exception n’est admise sous prémisse professionnelle, car le débat, soit dit en passant non résolu entre les professionnels dans le monde, a été fixé légalement au Canada.

d. Il est probable que l’embauche de futurs professionnels, ainsi que leur certification, dépendra toujours plus de leur acceptation de l’euthanasie.

e. Le droit fondamental à une recherche scientifique libre disparaît, parce que le développement de modèles de traitements alternatifs qui excluraient l’euthanasie et le suicide assisté ne peut être appliqué au niveau institutionnel.

f. Étant donné que beaucoup des promoteurs de l’euthanasie croient que les médecins ont le devoir éthique d’expliquer toutes les options possibles de traitements à leurs patients, les nouvelles directives dans certaines provinces exigent que les médecins informent aussi tout patient potentiellement qualifiable sur l’option de l’euthanasie. Cette notion est vivement contestée. Si elle s’impose, le résultat sera que :

i. Les patients vulnérables et non-suicidaires seront universellement sujets à se faire proposer le suicide;

ii. Les médecins sympathisants à l’euthanasie pourront plus facilement diriger les patients vers cette option;

iii. Pour un médecin, de baser son opposition à l’euthanasie sur un jugement professionnel plutôt que sur des « croyances et sentiments » sera de plus en plus mal vu, car les sympathisants à l’euthanasie ne reconnaissent aucune base médicale pour rejeter leur point de vue maintenant que la pratique est légale.

Rendons l’euthanasie inimaginable.

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente

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