Quand la théorie devient réalité

Avant la légalisation de « l’aide médicale à mourir » (euthanasie), et dans le confort d’un sondage théorique, 48% des médecins de la région de Laval avaient répondu qu’ils étaient prêts à participer au geste qui provoque intentionnellement la mort d’une personne souffrante. Une autre portion des médecins sondés (33%) avait diplomatiquement évoqué « certaines conditions » pour le faire. En d’autres mots, même parmi les médecins suffisamment politisés pour répondre au sondage à cette époque, moins de la moitié envisageait de pratiquer l’euthanasie dans les conditions spécifiées par la loi actuelle.

Puis, la théorie est devenue réalité : « Ce qu’on voit, c’est que dispenser l’aide à mourir, c’est plus complexe que ce qu’on croit », énonçait Marie-Ève Bouthillier, directrice du centre d’éthique au CISSS de Laval et co-auteure d’une recherche menée auprès des 61 médecins ayant reçu les 113 demandes d’aide à mourir formulées sur ce même territoire. Mais ce qui est surprenant devant une telle évidence, c’est que la classe dirigeante ait refusé de voir la réalité pendant aussi longtemps.

Une fois la Loi concernant les soins de fin de vie est entrée en vigueur, cette complexité dont il est maintenant question a frappé de plein fouet les médecins quand ils ont commencé à recevoir des requêtes bien réelles provenant de patients bien réels. Face à la réalité concrète, 77% d’entre eux ont alors réalisé qu’ils ne pouvaient simplement pas supporter l’idée de tuer leurs patients.

À quoi d’autre nous attendions-nous?

D’un côté, les humains ont une horreur viscérale et universelle de la mort, et ils font tout leur possible pour l’éviter. Et même si beaucoup de médecins ont appris à œuvrer auprès des mourants, la perspective de provoquer intentionnellement la mort d’une autre personne exige un tout autre niveau de répression de cet instinct naturel.

D’un autre côté, nous assistons au développement d’une vision politique fantaisiste (ou volontariste) qui pense que les médecins, à force de se faire marteler que l’euthanasie « n’est qu’un simple soin de santé », vont finir, comme par enchantement, par se sentir à l’aise avec le fait de tuer des gens.

D’ailleurs, le Dr. Bouthillier, du CISSS de Laval, a donné du pouce à cette idée loufoque en suggérant une solution pour que ce problème puisse miraculeusement se volatiliser : « Il y a une formation à faire pour rendre cette pratique plus acceptable, notamment pour intégrer cela dans la charge clinique des médecins ».

Que faut-il en conclure? Si les auteurs de l’étude se rendent compte qu’ils ne peuvent pas simplement « rééduquer » les médecins pour les rendre en faveur de cette pratique, que proposeront-ils ensuite? Vont-ils suggérer de contraindre les « réfractaires » à pratiquer des euthanasies?

Cependant, au-delà de l’absurdité de la trame de fond, il y a un aspect préoccupant à cette recherche du CISSS de Laval et à l’agenda qui la motive.

En effet, rappelons que la loi reconnaît une seule raison pour refuser de participer à une euthanasie: le « droit à l’objection de conscience ». Cependant, la recherche du CISSS de Laval laisse entendre que seulement 14% des médecins auraient de vraies objections de conscience (morales). Par conséquent, les autres médecins qui refusent de provoquer intentionnellement la mort de leurs patients n’auraient pas, pour ainsi dire, de raison valable.

Or, contrairement à ce que certains voudraient bien le faire penser, la conscience morale n’est pas limitée à un code religieux ou moral traditionnels : elle est universelle. C’est même une des nombreuses facultés (et une des plus importantes) qui font de nous des êtres humains.

D’ailleurs, qu’est-ce que le « fardeau moral » dont parlent 59% des médecins interrogés, si ce n’est une répugnance instinctive face au geste de tuer? Et cette même répugnance individuelle, étendue au niveau social, pourrait bien expliquer que 27% des médecins ont « peur d’être stigmatisés ». Par ailleurs, le « manque d’expertise » mentionné par 36% des médecins cache peut-être une raison similaire. Chose certaine, cela n’a certainement rien à voir avec l’incapacité de donner une injection…

Quelle urgence extrême nous pousse donc à convaincre – ou à forcer – les médecins pour qu’ils acceptent de tuer des personnes sur demande? Voulons-nous vraiment des médecins qui n’écoutent plus leur conscience – peu importe sa définition ? Souhaitons-nous réellement des médecins qui appliqueront, sans broncher ni remettre en question, tout ce que les tendances politiques auront à proposer dans l’avenir? Est-ce vraiment ce que la médecine a de mieux à offrir comme modèle aux générations futures?

Il nous semble, logiquement, que moins il y aura de médecins désensibilisés au geste de tuer – et plus il y en aura qui auront la prudence d’écouter leur jugement moral – mieux la société se portera.

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