Des trente-deux centres de soins palliatifs répartis dans le Québec, seulement six permettent l’euthanasie dans leurs murs, malgré toutes les pressions économiques et politiques.
Les médecins qui promeuvent l’euthanasie déplorent ce faible taux de participation qui constituerait un obstacle à l’exécution de la volonté des patients. Plusieurs d’entre eux, malgré qu’ils se considèrent comme médecins en soins palliatifs, ne voient aucun problème avec la cohabitation des deux pratiques. Ils prétendent offrir les soins palliatifs et l’euthanasie. Ils prétendent offrir les soins palliatifs aussi longtemps que le patient désire vivre; et finalement, lorsque le patient demandera « raisonnablement » l’euthanasie, ils l’exécuteront, selon cet euphémisme d’un « continuum de soins ».
Surement plusieurs de ces médecins euthanasistes rejetteraient cette description de leurs intentions et de leur méthode. Mais leur crédibilité est mesurée par les patients dont ils prennent soin. Pour le patient qui n’entrevoit absolument pas de terminer ses jours par empoisonnement mortel volontaire, tout milieu où se pratique l’euthanasie est générateur d’anxiété et d’incertitude, ce qui détruit l’esprit et l’objectif des soins palliatifs eux-mêmes.
Même dans les meilleures circonstances, les patients et leur famille sont souvent inquiets ou craintifs des soins que les médecins leur dispensent. Ces derniers doivent souvent gagner leur confiance avec grand dévouement, de là (parmi d’autres raisons) l’origine de la promesse traditionnelle de ne jamais faire de tort au patient.
Les promoteurs de l’euthanasie inversent cette logique : comment un patient qui redoute la souffrance peut-il faire confiance à un médecin qui a promis de ne jamais mettre un terme à sa vie pour le « soulager »?
Nous sommes donc en face de deux visions humaines, deux « cités », tellement exclusives l’une de l’autre qu’elles ne peuvent vraiment cohabiter. Le médecin associé à l’une est naturellement non crédible et disqualifié pour les patients qui désirent l’autre vision.
Mais où répartir la dispensation de ces services inconciliables? Les partisans de l’euthanasie répondent: nous irons partout. Ils comptent en particulier sur l’offre de leur «service » dans tous les milieux de soins palliatifs, un peu comme installer un kiosque de hamburger bruyant et malodorant dans un restaurant végétarien « zen ». Cette suggestion trahit une grande ignorance le l’évolution sociale et de la structure des soins palliatifs actuels.
Ceux-ci n’ont commencé que dans les années ’70, époque où et les belles maisons de soins palliatifs d’aujourd’hui n’existaient pas. Depuis que le docteur Balfour Mount et d’autres pionniers ont ouvert de petites unités dans quelques hôpitaux, le mouvement a évolué grâce à la créativité, au travail inépuisable et à la persévérance d’un grand nombre de personnes. Il n’y était pas question d’euthanasie, acte qui était alors considérée comme une barbarie incompatible avec la culture médicale. Mais la spécificité des soins palliatifs n’arrête pas là.
Les soins palliatifs présentaient un nouveau modèle, en contraste avec la médecine technologique moderne. Le personnel et les bénévoles qui ont voulu s’y consacrer étaient attirés par un idéal de soins humains, auquel ils se sont dédiés avec une grande loyauté, qui persiste aujourd’hui. Introduire l’euthanasie dans un tel contexte signifie la fin de l’esprit et de l’existence elle-même des soins palliatifs.
Les soins palliatifs ne sont pas une réalité négligeable, à rebâtir selon la mode du moment par des improvisations administratives. Chaque maison actuelle de soins palliatifs est le fruit de la contribution généreuse et laborieuse d’innombrables personnes : contributions financières, immobilières et bénévolat de toute sorte, de la cuisine à l’administration, en passant par les soins de base. Jusqu’à 60% des budgets d’opération proviennent de dons de charité. Le personnel reçoit un salaire moindre selon une échelle salariale d’institution privée. Les professionnels de la santé quittent d’autres milieux de travail afin de partager l’expérience unique des soins palliatifs en général, et même de chaque centre.
En résumé : en une quarantaine d’années, à l’intérieur d’un monopole publique de la santé, des individus et des groupes imaginatifs et altruistes ont réussi à créer des milieux de soins nouveaux et uniques, soutenus par des dons de charité et des armées de volontaires, et ayant des racines profondes dans les communautés environnantes où ils se sont établis. L’idée de faire intrusion dans ces milieux avec une approche bureaucratique et législative est une insulte à la notion d’initiative solidaire dans le service à la communauté.
Non! Les partisans de l’euthanasie, déguisés en spécialistes des soins palliatifs, n’ont rien à faire dans ces centres. Disons-le franchement : ces nouveaux enthousiastes du mode de « soin létal » n’ont pas fait leurs preuves. Qu’ils se justifient; qu’ils lèvent des fonds; qu’ils construisent leurs cliniques pierre par pierre. Qu’ils montrent un peu de respect pour les différences de pensées et de méthodes, un peu d’humilité devant l’œuvre immense des véritables soins palliatifs. Il ne devrait jamais leur être permis de faire comme le coucou et d’aller pondre leurs œufs dans le nid des autres, et que soient pervertis les vrais soins palliatifs.
Rendons l’euthanasie impensable.
Sincèrement,
Catherine Ferrier
Présidente