L’aide médicale à mourir pour cause de maladie mentale : des mythes et des faits

John Maher MD FRCP (psychiatre)                                                             

Président de l’Association ontarienne ACT et FACT

Éditeur en chef du Journal d’éthique en santé mentale

14 février 2021

Contexte : Depuis le jugement TRUCHON de 2019 par une cour du Québec, le gouvernement canadien travaille à une modification de la loi portant sur l’aide médicale à mourir (AMM) au Canada. Le projet de Loi propose que la nouvelle législation supprime le critère d’une « mort prochaine prévisible » pour pouvoir demander cette procédure. Cela ouvre la porte à l’aide médicale à mourir accordée à des personnes qui ne sont pas dans un état terminal et donc à des personnes porteuses d’une maladie mentale. On sait qu’une maladie mentale peut produire des symptômes incluant une perte du goût de vivre et des pensées suicidaires. Cette vulnérabilité est connue de longue date et, dans le projet de Loi initial, les personnes affectées mentalement avaient donc été exclues de la possibilité d’obtenir une aide médicale à mourir sur demande. La prévention du suicide est d’ailleurs reconnue comme un service de santé important, requis pour préserver la vie. Le Sénat propose maintenant un amendement qui va éliminer cette protection et permettre le suicide assisté et l’AMM chez ces personnes vulnérables. Cette procédure leur deviendrait accessible dans un délai de 18 mois.

Mythe : Le Sénat propose cette mesure avec un délai de 18 mois d’attente parce qu’il a évalué attentivement toutes les données disponibles.

Les faits : Le comité de travail ad hoc formé par le Sénat pour étudier ce projet de Loi n’a pas supporté la possibilité d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Mais le Sénat n’a pas suivi les recommandations de son propre comité de travail. Ce n’est pas à cause d’une évaluation prudente des évidences disponibles. Ou bien il existe des données qui indiquent clairement que la maladie mentale peut-être irréversible et justifient l’aide médicale à mourir, ou bien ces données n’existent pas. Si ces données existaient, elles auraient été présentées. Si elles ne l’ont pas été, c’est parce qu’elles n’existent pas.

En ignorant la recommandation de leur propre comité de travail, les sénateurs ont majoritairement donné un poids inapproprié aux préjugés et à un biais politique mal avisé. Le Sénat n’a pas non plus retenu la recommandation du Conseil canadien des Académies, qui conseillait de ne pas ouvrir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladies mentales à cause du manque de données probantes et des incertitudes inhérentes au pronostic clinique de ces malades. Le Sénat n’a pas non plus retenu les recommandations des nombreuses organisations qui défendent les intérêts des citoyens vulnérables ni celles des Nations Unies. Et il s’efforce d’imposer ses préjugés au Parlement sans référence à la Cour Suprême.

Le délai de 18 mois proposé avant d’implanter cette loi ne permettra pas à de nouvelles informations ou à des argumentaires renouvelés d’apparaître miraculeusement. Le Sénat fait donc du Canada une nation divergente des autres nations du monde sous ce rapport. Ceci n’est pas un progrès social ni une reconnaissance appropriée des changements des valeurs sociales. Le Senat choisit en fait d’ignorer les données existantes et les réflexions prudentes déposées devant lui. Martin Luther King disait que son rôle était d’aider ses concitoyens à démasquer l’injustice étalée devant leurs yeux. J’aurai espéré que le Sénat suive cette voie. Je pourrai vous nommer certains de mes patients qui mourront à cause de cette décision. Ces patients s’améliorent lentement, mais gardent toujours l’option du découragement : celle de cesser leurs efforts.

Tous les Canadiens ont déjà le droit de se donner la mort. L’accès à l’aide médicale à mourir pour cause de santé mentale ne leur donne pas une nouvelle liberté légale, car il n’existe pas de « droit à la mort » dans notre charte des droits. Cet accès ne fera que faciliter l’abandon de leurs soins et la suppression de leur droit à la vie. Sur 100 % des Canadiens qui ont tenté de se donner la mort, 23 % ont récidivé, et seulement 7 % se sont finalement suicidés. Pour 93 %, la vie continue avec ses possibilités de guérison ou d’amélioration. L’accès à l’aide médicale à mourir en santé mentale ne fera que faciliter l’accès au suicide. Pourquoi le Sénat réclame-t-il que le suicide soit facilité ? Le Sénat manque ici à son devoir de protéger les personnes vulnérables.

Mythe 2 : La Loi C-7 n’implique pas de discrimination.

Les faits : Les organisations canadiennes qui représentent les patients vulnérables, celles qui s’occupent de santé mentale, les premières nations, les organisations religieuses disent toutes que la loi C-7 est absolument discriminatoire. En effet, elle isole des Canadiens vulnérables et leur propose l’aide médicale à mourir sans toutefois leur offrir les traitements ou le support adéquat requis par leur condition et sans les aider à vivre pleinement une vie allégée des souffrances causées par leur déficit de traitement de santé, par leur pauvreté ou par leur discrimination sociale. Cette loi propose que les personnes vivant avec des inaptitudes ou des maladies mentales forment un groupe de personnes pour lesquelles un accès à l’aide médicale à mourir est justifié seulement parce qu’elles souffrent. Ceci n’est que préjugé et ignorance.  Comprenons bien ce qu’est l’absence de discrimination : c’est prétendre que tous les Canadiens sont égaux sur tout rapport.  Nous devons être égaux devant la loi, mais, en fait, nous vivons avec des inégalités de toute sorte.  La réalité c’est que nous sommes profondément différents devant les défis de la vie (les maladies, les handicaps, la position sociales, la discrimination raciale, la malchance, la pauvreté, l’isolement) et que nous avons besoin de lois pour préserver notre égalité malgré ces désavantages individuels.  Une loi qui offre la mort à un groupe et qui offre des traitements et de l’aide à un autre groupe est en fait parfaitement discriminatoire.

La loi C-7 prétend offrir l’égalité des droits.  Elle affirme que toutes les personnes qui ont une maladie mentale ont droit au même respect et donc au même accès à l’aide médicale à mourir, à la même liberté de choix. Mais elle ignore ou fait fi des particularités des gens qui vivent avec une maladie mentale. La loi proclame que nous devrions considérer leur offrir la mort plutôt que des soins attentifs.  Ces patients vulnérables ont en fait besoin d’une protection contre le législateur ou contre les médecins qui veulent les aider à mourir plus facilement alors que leur accès à des soins de qualité en santé mentale leur est refusé en pratique; c’est ça la vraie discrimination.

Mythe 3 : L’obligation d’offrir l’aide médicale à mourir reflète l’obligation des médecins à suivre les standards de soins acceptés dans leur société.

Les faits :  Offrir l’AMM pour une maladie mentale place le médecin dans la position d’un dispensateur de soin suicidaire spécialisé plutôt que dans celle d’un expert recherchant la guérison ou la réduction des souffrances. Il est particulièrement inquiétant de voir le législateur permettre l’AMM sans confirmer l’obligation préalable d’avoir épuisé tous les recours thérapeutiques disponibles. La loi actuelle stipule que c’est au patient de décider seul si sa situation est insupportable, et qu’il a le droit de refuser les traitements qui aideraient sa situation. Permettre de choisir (ou proposer) la mort alors que des traitements démontrés utiles sont disponibles mine gravement l’éthique médicale et le devoir d’un médecin de pratiquer selon les règles standards de soins. Un médecin ne peut accepter la mort comme seule solution si les traitements disponibles n’ont pas été pleinement offerts ou épuisés. Quel garde-fou pourrait être efficace dans un tel contexte?

Mythe 4 : Il s’agit d’éthique, pas de données médicales.

Les faits :    La médecine par données probantes repose sur des données statistiques. L’éthique médicale appliquée utilise aussi de telles données pour étayer l’analyse éthique. En contraste avec le champ des maladies physiques, nous n’avons, en santé mentale, aucune donnée objective concernant le pronostic d’un patient donné, pour estimer s’il va s’améliorer ou non. Il y a tant de stratégies thérapeutiques en psychiatrie (dont le passage du temps, l’adaptation naturelle, l’apprentissage des réconforts, le soulagement de la pauvreté et de la solitude, la découverte d’une relation humaine significative), qu’aucune étude n’été configurée pour capter la complexité des trajectoires individuelles. Par exemple, l’effet d’avoir un bébé, et de guérir de ses idées suicidaires grâce à l’apparition d’un nouveau sens à sa vie, ne représente pas le genre de déterminants habituellement étudiés dans le cours de la maladie mentale. Cela ne veut pas dire que l’on ne puisse pas faire de telles recherches, même imparfaitement, mais que nous ne l’avons pas encore fait. Introduire l’aide médicale à mourir sans avoir obtenu ces données requises pour éclairer l’à-propos de nos politiques sociales relève de la présomption et de la fantaisie : c’est tronquer notre compréhension de la réalité.

 Mythe 5 : Les psychiatres peuvent prédire qui ne guérira pas de la maladie mentale.

Les faits :    Il est absolument impossible de prédire qu’une maladie psychiatrique donnée ne peut pas guérir. On ne peut pas le savoir. Des gens ont guéri après deux ans, d’autres après 15 ans. Des gens réussissent à contrôler leurs symptômes et à réduire leur souffrance lorsqu’ils reçoivent des traitements avisés et des soins appropriés. Partager la souffrance est déjà réduire la souffrance. Ce sont souvent des traitements inadéquats qui font apparaître la maladie comme irrémédiable.

Mythe 6: L’accès à l’aide médicale à mourir n’incite pas au suicide.

Les faits :    L’AMM altère profondément la relation thérapeutique clinique. Certains patients nous disent déjà : « Pourquoi faire ces efforts quand l’AMM arrivera bientôt et que je pourrai choisir la mort? » Certains autres patients demandent l’AMM alors qu’ils s’améliorent, mais qu’ils ne s’en aperçoivent pas encore. D’autres encore affirment que l’AMM est moralement acceptable puisque la Loi et leur médecin le disent…  et cela s’accompagne de tous les pièges d’un confort médical idéalisé et de la perte de la culpabilité qui accompagne souvent le suicide.  Et nous savons que l’offre d’AMM par un médecin véhicule un message d’impuissance avec une incitation suicidaire cachée : choisissez donc l’AMM.

Mythe 7 : Un psychiatre qui tue un patient ne viole pas l’éthique médicale.

Les faits :     L’Association Médicale Mondiale condamne l’AMM en tant que violation manifeste de l’éthique médicale. L’Association Américaine de Psychiatrie condamne son utilisation dans un contexte de santé mentale. L’Association canadienne de Psychiatrie (ACP) n’a pas consulté ses membres à ce sujet depuis 2016 et sa position actuelle se résume ainsi :

« De lourdes questions légales, cliniques, éthiques, morales et philosophiques rendent particulièrement délicate l’utilisation de l’AMM en santé mentale. L’ ACP n’a pas statué si l’AMM devait ou non être rendue disponible lorsque la santé mentale du demandeur est la seule morbidité présente. » Les associations professionnelles ont le devoir de faire la promotion de soins fermement établis et confirmés par des expertises cliniques. Malheureusement l’ACP se réfugie dans une neutralité qui supporte tout et rien, minant ainsi sa crédibilité en se pliant à des dictats politiques au détriment des données scientifiques requises et de sa responsabilité éthique. Les pensées suicidaires sont souvent ambivalentes. Nous ne devrions pas avoir de législation qui incite à la mort des patients susceptibles d’amélioration ou de guérison. Ouvrir une large voie au suicide est éthiquement indéfendable. On ne peut tendre un revolver de la main d’une blouse blanche. L’occasion fait le larron.

Mythe 8 : L’AMM n’est pas un suicide.

Les faits :    Le Gouvernement du Canada définit le suicide comme étant « l’action intentionnelle de s’ôter la vie ». L’AMM est un suicide par définition. L’Association américaine de Suicidologie pense que l’AMM est bien un suicide, sauf peut-être dans le contexte d’une maladie terminale. Ceux qui disent que le suicide est une réalité impulsive et violente, alors que l’AMM est un geste de douceur, de paix et de dignité, définissent arbitrairement ce qu’est le suicide. L’ingénierie sociale commence toujours par l’ingénierie du langage. Se suicider, c’est choisir des actions qui causeront votre mort quelles que soient ces actions. La majorité (75%) des suicidés a planifié le suicide, souvent en tenant compte de son impact sur les personnes qui les découvriront et sur leurs proches.  Il est faux de prétendre que le suicide soit un geste violent et impulsif : ceci perpétue un stéréotype répandu dans les médias. Il est clair cependant que le suicide véhicule toujours une souffrance profonde pour les proches. Le prétexte du confort médical et l’exonération morale que la médecine propose faussement ici n’y changent rien. En fait, cela exagère les blessures du fait de la trahison de la médecine et de l’État.

Mythe 9 : Un médecin qui aide un patient à se suicider ne soulève plus de problème moral dans une société pluraliste et séculière.

Les faits :    La réflexion sociale, éthique et religieuse ne supporte pas cette affirmation. Les jugements et la condamnation des médecins qui tuent leurs patients ont été dominants depuis des millénaires. Mais dans notre société pluraliste, les médias, les politiciens, les milieux académiques relèguent souvent le débat sur le suicide comme un épiphénomène survenant en marge du discours social prépondérant.  La dévaluation des opinions inspirées par les religions ou par les croyances religieuses contraste ironiquement avec le fait que 70% des Canadiens se déclarent porteurs de valeurs religieuses ou spirituelles. Mais plusieurs taisent en public ce qu’ils croient en privé.

Tous les arguments portant sur la dignité humaine et sur le respect mutuel sont enracinés dans des valeurs religieuses qui ont influencé les valeurs et les lois canadiennes. Les protagonistes de l’AMM qui évacuent les objections de leurs adversaires comme venant de « personnes religieuses qui ne peuvent pas dire, ni à la société ni à moi, ce qu’il faut faire » n’ont pas compris ou ont dévalorisés la profondeur de l’héritage éthique qui sous-tend nos structures sociales.

Les droits de la conscience sont en fait enracinés dans le respect de ce qui informe notre conscience : une profonde révérence morale née de la foi en quelque chose qui est présent chez moi comme chez l’autre. Beaucoup des argumentaires qui s’opposent à l’AMM ne sont pas d’origine religieuse ou déontologique, mais proviennent d’une éthique utilitaire, de la vertu et de l’éthique professionnelle. Il y a plusieurs lunettes pour regarder notre terre commune et nous devons avoir le courage de regarder ensemble ce que le suicide assisté implique pour nous comme personnes éthiquement (concept religieux ou non-religieux) conjointement responsables de l’édification d’une société humaine bienveillante et attentive aux plus vulnérables.

Mythe 10 : Les personnes les plus malades au Canada ont accès à de bons soins.

Les faits :    En fait seulement 1 personne sur 3 a droit à de bons soins en santé mentale. Le TMS utilisé pour traiter la dépression résistante au traitement est maintenant efficace à 90%, mais n’est disponible que dans 4 provinces seulement. Les listes d’attentes pour les soins peuvent se décliner en années. Les citoyens en zone rurale sont mal desservis.

En ce moment, 6000 des patients les plus malades d’Ontario doivent attendre 5 ans pour obtenir des traitements psychiatriques spécialisés. Ce sont surtout des cas de maladies dégénératives. C’est comme recevoir un diagnostic de cancer et devoir attendre des années pour obtenir une chimiothérapie, alors que la maladie progresse inexorablement. Ceci est un exempt de stigmatisation et de discrimination. Choisir la mort en une absence de traitement disponible n’est plus un choix.

Mythe 11 : Ne pas donner accès à l’AMM aux personnes souffrant de maladie mentale est discriminatoire.

Les faits :     Cet argument simpliste d’une « équité d’accès » à l’AMM s’impose avant « l’égalité des soins », le « droit aux soins » et le « droit à la vie ». Cet argument a de la valeur et il s’impose comme un souci de justice. Mais bien compris, du point de vue plus large du contexte des souffrances, il est tragiquement étroit. Dans le monde complexe de la réalité des soins de santé, c’est une approche simpliste. C’est comme dire que tous, dans le carré de sable, ont un droit aux mêmes jouets sans tenir compte des enfants amputés ou en chaise roulante qui ne peuvent entrer dans le carré de sable.

Mythe 12 : L’AMM pour cause de maladie mentale accroît l’autonomie individuelle.

Les faits :    Tous les suicides sont des tragédies. En planifiant leur suicide, les personnes évaluent les différentes options possibles. Beaucoup choisissent la surdose. D’autres choisissent une méthode qui leur est plus accessible ou plus acceptable. L’AMM est une option de plus, mais elle n’accroît pas l’autonomie : vous pouvez toujours planifier vos propres plans.

C’est un peu comme ce scénario : Je change moi-même l’huile de ma voiture. Je peux regarder sur YouTube comment faire et acheter les outils requis; je pourrai me salir, mais j’ai la possibilité de décider de le faire. Si le gouvernement demande à un garagiste de le faire pour moi, mon autonomie n’est pas accrue, cela a seulement rendu plus facile d’arriver au même résultat. Les avocats de l’AMM confondent autonomie et facilitation.

Les partisans de l’AMM disent que si nous ne permettons pas l’aide à mourir, nous forçons les gens à se tuer eux-mêmes de façon horrible et violente. Comment et qui les force? Beaucoup de gens se tuent de façon réfléchie, paisiblement. Dire le contraire fait preuve d’une ignorance du monde réel.

Du point de vue de la prévention du suicide, ce geste ne devrait pas être facile à réaliser. Nous avons deux exemples clairs (le gaz en Angleterre et le poison au Sri Lanka) qu’une opportunité facilitée a un effet facilitateur. Cela est vrai aussi pour les fermiers avec les armes à feu et les médecins avec les médicaments. Et bientôt pour les patients avec les médecins…

La suggestion, la tentation, l’abus de pouvoir, la fausse exonération morale, l’encouragement à la démission et à la mort ne sont pas des gains d’autonomie.

Mythe 13 : Les gens méritent la mort dans la dignité que l’AMM leur offre..

Les faits :    Ce débat déforme le concept même de dignité. La dignité, c’est ce qui mérite l’honneur et le respect. Les protagonistes de l’AMM croient que la perte de la santé, du contrôle de ses actions, de son aspect habituel ou du jugement critique est une perte de dignité. Ils ont oublié l’essentiel que reflète le respect et l’amour de l’autre en toutes circonstances.

Donner un bain à sa grand-mère, entrer dans une conversation à mi-voix au seuil d’une séparation, assurer une présence silencieuse au cours d’une longue nuit où on attend le dernier souffle, voilà de grands moments de dignité.

La dignité émane de notre relationnel. Elle se manifeste dans le regard d’un autre qui vous traite respectueusement et non avec dédain, en vous faisant sentir que vous le dérangez.

La dignité n’a rien à voir avec votre décès. Mourir dans la dignité, c’est mourir dans un milieu riche en respect, en soins attentionnés et en attentions délicates. Ceux qui pensent autrement n’ont rien compris à la dignité.

Mythe 14 : Les gens qui ont beaucoup souffert veulent l’AMM.

Les faits :    Non. Ils veulent le soulagement de leurs souffrances. Mais ils ont fini par croire que la mort est la seule délivrance possible. Malheureusement, une longue souffrance rétrécit l’horizon décisionnel : certains refusent même les options efficaces d’allègement qu’on leur présente. Dans les expériences sur des animaux de laboratoire, on appelle cela un « désespoir acquis ».

Les éthiciens parlent du désir de premier ou de second ordre. Par exemple, mon désir de premier ordre pourrait être de fumer une cigarette, mais mon désir de second ordre, mon désir le plus profond, est d’arrêter de fumer pour préserver ma santé. Avec l’AMM, une personne peut désirer mourir pour soulager immédiatement sa souffrance, mais son désir du second ordre est de guérir, de vivre, et d’avoir une vie riche de sens.

Mythe 15 : Si un médecin dit que l’AMM est acceptable moralement, c’est vrai !

Les faits :    Qu’est-ce qui ferait qu’un médecin serait un meilleur expert en moralité que votre propre conscience? Les médecins sont devenus les prêtres d’un âge nouveau, mais ils ont les mêmes capacités morales que tout autre Canadien. Un médecin, avec le halo de bons soins et d’expertise médicale qui l’entoure, peut véhiculer une fausse absolution et une fausse exonération morale pour une personne qui choisit le suicide. Celle-ci utilise le médecin comme une arme létale qui le justifie. C’est une danse de prétentions mutuelles qui ne résiste pas à l’analyse éthique. C’est un protocole suicidaire caché derrière un masque de fausse compassion, de déconstruction, de casuistique biaisée, de fausse-certitude où la naïveté tient lieu de justice.

Mythe 16 : Les gouvernements ne proposent pas l’AMM pour des raisons économiques.

Les faits :    Est-ce vra.?   Pourquoi alors cette analyse récente des coûts et des économies reliées à l’implantation de cette nouvelle loi? Le gouvernement calcule que 150 millions seront épargnés la première année. Si l’AMM est un droit citoyen, qu’on doit accorder à chaque demandeur en fin de vie, pourquoi considérer ces coûts? Après tout c’est évident que de faire mourir plus tôt les patients en fin de vie, les handicappés, les patients en santé mentale, les personnes désavantagées, représente une économie monétaire. Serait-ce-ce devenu noble de tuer les patients plus malades pour en rediriger les coûts vers ceux qui ont plus d’avenir? N’est-ce pas là un double acte de compassion?

Mythe 17 : L’AMM est une forme de traitement ultime de la maladie mentale.

Les faits :    Tuer quelqu’un n’est jamais un soin. Un soin ouvre l’avenir. La mort le ferme. C’est une façon d’éliminer à la fois la souffrance et le souffrant.

Mythe 18 : Essayer de protéger les personnes atteintes de maladies mentales contre l’AMM est une discrimination à leur endroit : c’est affirmer qu’elles ne sont pas capables de prendre leurs propres décisions.

Les faits :    Tout le monde accepte le fait que la plupart des malades souffrant d’une maladie mentale sont aptes à prendre leur propre décision. Tout le monde accepte aussi que certains malades deviennent inaptes du fait de leur maladie (psychose, dépression suicidaire). C’est plus compliqué pour les cas intermédiaires, dont l’aptitude est incertaine et qui ne peuvent donc pas donner pleinement un consentement à l’AMM. La recherche montre que sur 100 psychiatres qui évaluent une personne dont l’aptitude est incertaine, 35 auront une opinion d’un type, et 65 d’un autre. Différents psychiatres de différentes spécialités et avec différents niveaux d’expérience, jugent différemment. Et ils ont aussi des biais comme tout le monde.  Il y aura donc des psychiatres qui deviendront des super-promoteurs du suicide assisté. Les patients pourront magasiner leur médecin jusqu’à trouver le bon…

Mythe 19 : Nous évaluons déjà les capacités décisionnelles de patients porteurs à la fois de maladies physiques et de maladies mentales; nous devrions pouvoir faire de même pour les patients souffrant de maladies mentales seulement .

Les faits :    Les évaluations faites au Canada pour offrir l’AMM le sont très majoritairement chez des patients présentant une maladie physique terminale. Cette condition est au Canada (mais pas au Québec) LA condition qui peut ouvrir la porte à l’euthanasie. Il n’existe pas de maladie terminale qui soit purement psychiatrique. Si la condition proposée par les protagonistes de l’AMM pour l’accorder aux patients avec un problème de santé mentale est la « souffrance insupportable » subjective, alors la porte est ouverte pour toutes les personnes qui vivent une telle condition, quelque en soit la raison (divorce, deuil, fatigue de vivre) pourvu qu’une condition médicale significative quelconque soit présente pour justifier leur demande.

Mythe 20: si l’AMM est légale, elle est forcément éthique.

Les faits :     Le fait que la Loi permette de faire une chose ne garantit pas son caractère moral. Les lois ont permis l’esclavage, l’apartheid, l’eugénisme, la stérilisation forcée, le racisme systémique, le sexisme, l’âgisme et j’en passe.  Cette loi rejoint un long défilé de lois immorales…

Mythe 21 : l’AMM pour la maladie terminale et l’AMM pour la maladie mentale, c’est

la même chose.

Les faits :    La maladie terminale débouche sur la certitude d’un décès prochain et l’abandon de tout espoir de guérison. La maladie mentale n’implique pas la mort et un espoir d’amélioration est permis. Ce sont deux situations très différentes. Dire que ces deux situations sont comparables, c’est déformer la logique au service d’une idéologie.

Lorsque le critère d’une « mort raisonnablement prévisible » est retiré de la Loi C-7, on change en pratique une mort inévitable prévisible à court terme pour un mort possible à long terme. Si ce possible implique un délai de 60 ans et non de 6 mois , parle-t-on de la même chose?

Certains, extrapolant des quelques récits relatant un au revoir chaleureux échangé au cours d’une AMM,  pensent que la même chose est possible en dehors d’un contexte de terminalité. Au contraire, l’expérience des Suisses, des Hollandais, des Belges montre que l’AMM est alors empreinte de détresse (les familles ne supportent pas le geste, refusent d’y participer, prennent des recours légaux, refusent de croire à l’impossibilité d’une amélioration de l’état du malade, se sentent abandonnées) et certains membres en sont traumatisés avec même l’occurrence de stress post-traumatique.

Mythe 22 : Il n’y a pas de distinction à faire entre maladie physique et maladie mentale en matière d’AMM

Les faits :    Il y a des maladies du cerveau qui font clairement partie du domaine des maladies psychiatriques. Physiologiquement, entre l’organe et sa fonction, il existe un continuum : nous ne sommes qu’une seule entité. Et souffrir veut toujours dire souffrir. Mais sur le plan du diagnostic et de la caractérisation des maladies, un tel continuum n’existe pas. Il y a trois catégories de maladies : les maladies physiques, les maladies mentales et les maladies mixtes.

Les maladies mixtes incluent les démences (l’ Alzheimer par exemple), certaines maladies comme le Huntington, le Parkinson etc… qui peuvent amener le malade à un état de statut terminal. D’autres maladies mentales pures qui causent des symptômes psychiatriques tels que des pensées suicidaires, des troubles de l’humeur, une dépression, une psychose… et une longue liste de symptômes ou de regroupement de symptômes, sont clairement différentes des maladies physiques du cerveau qui causent des symptômes psychiatriques. Ces maladies mentales ne conduisent pas à un état de terminalité.

Voici une autre façon de considérer  ces différences. Avec une maladie physique, je sais quand j’ai épuisé tous les traitements disponibles, indépendemment des conditions sociétales de dispensation des soins.

Avec la maladie mentale

               Le traitement est souvent indisponible pour cause de discrimination sociale;

               Le traitement n’est pas débuté à cause de préjugés sur le patient;

               Le traitement est souvent abandonné à cause de préjugés sur le patient;

La disponibilité des traitements n’est jamais épuisée parce que l’arsenal disponible est très varié et parce que la réponse au traitement peut prendre des années.

Enfin, il est impossible de prédire qui répondra au traitement et chez qui les souffrances seront allégées.

Mythe 22 : La majorité des psychiatres souhaitent que l’AMM puisse être offerte aux patients porteurs d’une maladie mentale

Les faits :    Les psychiatres sont très divisés sur cette question. Nous connaissons mal l’ampleur de cette division, mais nous savons qu’elle existe. Quiconque prétend qu’un consensus émerge autour de cette question ne fait que spéculer. Les psychiatres ont l’expertise et l’expérience requise pour soigner ces maladies, mais on ne leur a pas demandé clairement d’analyser les conséquences du contexte clinique ou des propositions législatives sur cette question de l’accès à l’AMM. Ils demeurent très divisés sur la chose.

En 2016, 500 des 5000 psychiatres du Canada ont répondu à un sondage sur cette question. 75% se sont opposés à l’AMM pour cause de maladie mentale. L’Association psychiatrique canadienne n’a pas consulté ses membres depuis 2016. Sa position actuelle se veut neutre : « Il y a des raisons légales, cliniques, éthiques, morales et philosophiques qui rendent ce débat complexe. L’APC n’a pas établi si l’AMM devrait être disponible ou non pour les patients porteurs d’une maladie mentale comme seule raison pour la demande de cette procédure. » Notez que l’Association américaine condamne clairement l’utilisation de l’AMM pour cause de maladie mentale : ils considèrent cela comme une violation éthique extrême.

Récemment 263 des 1300 psychiatres du Québec, ont répondu à un sondage. 36% s’opposaient à l’AMM pour cause de maladie mentale en toute circonstance et 42% ont précisé qu’il fallait avoir bénéficié d’au moins 10 ans de traitement avant de pouvoir conclure que les traitements additionnels avaient peu de chance de succès.

Certains ont estimé que cette division des opinions reposait uniquement sur des différences de valeurs personnelles. D’autres défendaient que ces considérations d’éthique professionnelle devaient s’appliquer à tous les psychiatres. Une longue liste d’association médicale  est d’accord avec ce point de vue.

Certains disent que ce débat n’est qu’un débat sur les valeurs sociales dominantes. D’autres disent que des données scientifiques fortes doivent absolument supporter ces choix éthiques : des données sont requises pour adopter un comportement appuyé sur des évidences probantes. L’éthique appliquée utilise des données de ce type. La science actuelle ne supporte pas un caractère irréversible de la maladie mentale; nous sommes incapables de prédire qui s’améliorera ou non avec le temps. En ce moment, tous les psychiatres s’accordent pour dire qu’on ne sait pas prédire l’évolution individuelle de nos malades.

Certains psychiatres ont soutenu que l’AMM ne correspond pas à un suicide. D’autres disent : en dehors d’une situation médicale terminale, nous ne pouvons distinguer les personnes qui désirent l’AMM  parce qu’ils sont en fait suicidaires de ceux qui le demandent à  cause de la présence d’une maladie mentale grave. Cette position est aussi celle des associations professionnelles d’experts en suicide, et de beaucoup d’autres associations.

Quelques psychiatres pensent qu’on devrait pouvoir aider à mourir quelqu’un qui estime qu’il a « suffisamment » souffert de sa maladie.  Évidemment, on ne s’entend pas ici sur ce que « suffisamment » veut dire, ni sur la nature optimale des traitements reçus.

D’autres encore disent qu’il est impossible de prévoir quand une condition s’améliorera grâce un traitement donné et qu’il convient de persévérer à rechercher un traitement susceptible d’aider le malade.

Ces opinions diverses soulignent la présence de profondes divergences de vues entre ces professionnels. Des différences d’évaluation clinique, d’interprétation des histoires de vies, d’expérience professionnelle, d’interprétations des mêmes données objectives aboutissent à cette disparité. C’est compliqué. Ce qui est simple est ceci : si l’AMM devient facilement accessible aux patients souffrants de problèmes de santé mentale, nous sommes à 100% certains que nous ferons de multiples erreurs en enlevant la vie à des patients qui se seraient améliorés… mais nous ne savons pas lesquels. Ces centaines de personnes qui mourront à tort d’AMM ne sont pas des statistiques. Si votre conjoint, votre fils ou votre fille devenait malade, voudriez-vous un psychiatre partisan de l’AMM sur demande comme médecin pour lui ou pour elle?

La plupart des Canadiens ne réalisent pas la poussée idéologique qui sous-tend artificiellement cette provocation législative. Moins de 10% des psychiatres s’en rendent compte. Plusieurs de mes collègues ont été choqués d’apprendre qu’on pourrait offrir l’AMM à des patients qui n’ont pas pleinement reçu les traitements standards reconnus efficaces pour leur condition. Ils sont absolument certains que plusieurs se seraient cliniquement améliorés si on avait poursuivi leur traitement. On devrait donc exclure la maladie mentale comme critère d’accès à l’AMM de la Loi C-7. 

Le Canada offre l’ AMM à tous, mais pas des soins palliatifs à tous, ni l’aide aux handicapés, ni les soins de santé mentale à tous. Devons-nous nous féliciter d’aider les gens à mourir plus facilement alors qu’on ne leur donne pas les ressources requises pour vivre? Comment justifier la Loi C7 si le droit aux soins de santé de nombreux Canadiens n’est pas respecté ou simplement ignoré. Est-ce cela, un choix libre, au Canada?

John Maher MD FRCP (psychiatre)                                                             

Président de l’Association ontarienne ACT et FACT

Éditeur en chef du Journal d’éthique en santé mentale

Traduction: VDD

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