L’aide médicale à mourir pour cause de maladie mentale : des mythes et des faits

John Maher MD FRCP (psychiatre)                                                             

Président
de l’Association ontarienne ACT et FACT

Éditeur
en chef du Journal d’éthique en santé mentale

14
février 2021

Contexte : Depuis le jugement TRUCHON de
2019 par une cour du Québec, le gouvernement canadien travaille à une
modification de la loi portant sur l’aide médicale à mourir (AMM) au Canada. Le
projet de Loi propose que la nouvelle législation supprime le critère d’une « mort
prochaine prévisible » pour pouvoir demander cette procédure. Cela ouvre la
porte à l’aide médicale à mourir accordée à des personnes qui ne sont pas dans
un état terminal et donc à des personnes porteuses d’une maladie mentale. On
sait qu’une maladie mentale peut produire des symptômes incluant une perte du
goût de vivre et des pensées suicidaires. Cette vulnérabilité est connue de
longue date et, dans le projet de Loi initial, les personnes affectées mentalement
avaient donc été exclues de la possibilité d’obtenir une aide médicale à mourir
sur demande. La prévention du suicide est d’ailleurs reconnue comme un service
de santé important, requis pour préserver la vie. Le Sénat propose maintenant un
amendement qui va éliminer cette protection et permettre le suicide assisté et
l’AMM chez ces personnes vulnérables. Cette procédure leur deviendrait accessible
dans un délai de 18 mois.

Mythe : Le Sénat propose cette
mesure avec un délai de 18 mois d’attente parce qu’il a évalué attentivement toutes
les données disponibles.

Les
faits :

Le comité de travail ad hoc formé par le Sénat pour étudier ce projet de Loi n’a
pas supporté la possibilité d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes
souffrant de problèmes de santé mentale. Mais le Sénat n’a pas suivi les recommandations
de son propre comité de travail. Ce n’est pas à cause d’une évaluation prudente
des évidences disponibles. Ou bien il existe des données qui indiquent clairement
que la maladie mentale peut-être irréversible et justifient l’aide médicale à
mourir, ou bien ces données n’existent pas. Si ces données existaient, elles
auraient été présentées. Si elles ne l’ont pas été, c’est parce qu’elles
n’existent pas.

En ignorant la recommandation de leur
propre comité de travail, les sénateurs ont majoritairement donné un poids
inapproprié aux préjugés et à un biais politique mal avisé. Le Sénat n’a pas non
plus retenu la recommandation du Conseil canadien des Académies, qui conseillait
de ne pas ouvrir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladies
mentales à cause du manque de données probantes et des incertitudes inhérentes
au pronostic clinique de ces malades. Le Sénat n’a pas non plus retenu les
recommandations des nombreuses organisations qui défendent les intérêts des
citoyens vulnérables ni celles des Nations Unies. Et il s’efforce d’imposer ses
préjugés au Parlement sans référence à la Cour Suprême.

Le délai de 18 mois proposé avant
d’implanter cette loi ne permettra pas à de nouvelles informations ou à des
argumentaires renouvelés d’apparaître miraculeusement. Le Sénat fait donc du
Canada une nation divergente des autres nations du monde sous ce rapport. Ceci
n’est pas un progrès social ni une reconnaissance appropriée des changements
des valeurs sociales. Le Senat choisit en fait d’ignorer les données existantes
et les réflexions prudentes déposées devant lui. Martin Luther King disait que
son rôle était d’aider ses concitoyens à démasquer l’injustice étalée devant
leurs yeux. J’aurai espéré que le Sénat suive cette voie. Je pourrai vous
nommer certains de mes patients qui mourront à cause de cette décision. Ces
patients s’améliorent lentement, mais gardent toujours l’option du
découragement : celle de cesser leurs efforts.

Tous les Canadiens ont déjà le droit de
se donner la mort. L’accès à l’aide médicale à mourir pour cause de santé
mentale ne leur donne pas une nouvelle liberté légale, car il n’existe pas de « droit
à la mort » dans notre charte des droits. Cet accès ne fera que faciliter
l’abandon de leurs soins et la suppression de leur droit à la vie. Sur 100 %
des Canadiens qui ont tenté de se donner la mort, 23 % ont récidivé, et
seulement 7 % se sont finalement suicidés. Pour 93 %, la vie continue
avec ses possibilités de guérison ou d’amélioration. L’accès à l’aide médicale
à mourir en santé mentale ne fera que faciliter l’accès au suicide. Pourquoi le
Sénat réclame-t-il que le suicide soit facilité ? Le Sénat manque ici à son
devoir de protéger les personnes vulnérables.

Mythe 2 : La Loi C-7
n’implique pas de discrimination.

Les
faits :
Les organisations canadiennes qui représentent
les patients vulnérables, celles qui s’occupent de santé mentale, les premières
nations, les organisations religieuses disent toutes que la loi C-7 est absolument
discriminatoire
. En effet, elle isole des Canadiens vulnérables et leur
propose l’aide médicale à mourir sans toutefois leur offrir les traitements ou le
support adéquat requis par leur condition et sans les aider à vivre pleinement
une vie allégée des souffrances causées par leur déficit de traitement de santé,
par leur pauvreté ou par leur discrimination sociale. Cette loi propose que les
personnes vivant avec des inaptitudes ou des maladies mentales forment un
groupe de personnes pour lesquelles un accès à l’aide médicale à mourir est
justifié seulement parce qu’elles souffrent. Ceci n’est que préjugé et
ignorance.  Comprenons bien ce qu’est l’absence
de discrimination : c’est prétendre que tous les Canadiens sont égaux sur
tout rapport.  Nous devons être égaux
devant la loi, mais, en fait, nous vivons avec des inégalités de toute sorte.  La réalité c’est que nous sommes profondément
différents devant les défis de la vie (les maladies, les handicaps, la position
sociales, la discrimination raciale, la malchance, la pauvreté, l’isolement) et
que nous avons besoin de lois pour préserver notre égalité malgré ces
désavantages individuels.  Une loi qui
offre la mort à un groupe et qui offre des traitements et de l’aide à un autre
groupe est en fait parfaitement discriminatoire.

La loi
C-7 prétend offrir l’égalité des droits.  Elle affirme que toutes les personnes qui ont
une maladie mentale ont droit au même respect et donc au même accès à l’aide
médicale à mourir, à la même liberté de choix. Mais elle ignore ou fait fi des
particularités des gens qui vivent avec une maladie mentale. La loi proclame
que nous devrions considérer leur offrir la mort plutôt que des soins attentifs.
 Ces patients vulnérables ont en fait besoin
d’une protection contre le législateur ou contre les médecins qui veulent les
aider à mourir plus facilement
alors que leur accès à des soins de qualité en
santé mentale leur est refusé en pratique; c’est ça la vraie discrimination.

Mythe 3 : L’obligation
d’offrir l’aide médicale à mourir reflète l’obligation des médecins à suivre
les standards de soins acceptés dans leur société.

Les
faits :
  Offrir
l’AMM pour une maladie mentale place le médecin dans la position d’un
dispensateur de soin suicidaire spécialisé plutôt que dans celle d’un expert
recherchant la guérison ou la réduction des souffrances. Il est
particulièrement inquiétant de voir le législateur permettre l’AMM sans confirmer
l’obligation préalable d’avoir épuisé tous les recours thérapeutiques
disponibles. La loi actuelle stipule que c’est au patient de décider seul si sa
situation est insupportable, et qu’il a le droit de refuser les traitements qui
aideraient sa situation. Permettre de choisir (ou proposer) la mort alors que
des traitements démontrés utiles sont disponibles mine gravement l’éthique
médicale et le devoir d’un médecin de pratiquer selon les règles standards de
soins. Un médecin ne peut accepter la mort comme seule solution si les
traitements disponibles n’ont pas été pleinement offerts ou épuisés. Quel
garde-fou pourrait être efficace dans un tel contexte?

Mythe 4 : Il s’agit
d’éthique, pas de données médicales.

Les
faits :
    La
médecine par données probantes repose sur des données statistiques. L’éthique
médicale appliquée utilise aussi de telles données pour étayer l’analyse
éthique. En contraste avec le champ des maladies physiques, nous n’avons, en santé
mentale, aucune donnée objective concernant le pronostic d’un patient donné,
pour estimer s’il va s’améliorer ou non. Il y a tant de stratégies
thérapeutiques en psychiatrie (dont le passage du temps, l’adaptation
naturelle, l’apprentissage des réconforts, le soulagement de la pauvreté et de
la solitude, la découverte d’une relation humaine significative), qu’aucune
étude n’été configurée pour capter la complexité des trajectoires
individuelles. Par exemple, l’effet d’avoir un bébé, et de guérir de ses idées
suicidaires grâce à l’apparition d’un nouveau sens à sa vie, ne représente pas
le genre de déterminants habituellement étudiés dans le cours de la maladie
mentale. Cela ne veut pas dire que l’on ne puisse pas faire de telles
recherches, même imparfaitement, mais que nous ne l’avons pas encore fait.
Introduire l’aide médicale à mourir sans avoir obtenu ces données requises pour
éclairer l’à-propos de nos politiques sociales relève de la présomption et de
la fantaisie : c’est tronquer notre compréhension de la réalité.

 Mythe 5 : Les psychiatres peuvent prédire qui
ne guérira pas de la maladie mentale.

Les
faits :
    Il
est absolument impossible de prédire qu’une maladie psychiatrique donnée ne
peut pas guérir. On ne peut pas le savoir. Des gens ont guéri après deux ans,
d’autres après 15 ans. Des gens réussissent à contrôler leurs symptômes et à
réduire leur souffrance lorsqu’ils reçoivent des traitements avisés et des
soins appropriés. Partager la souffrance est déjà réduire la souffrance. Ce
sont souvent des traitements inadéquats qui font apparaître la maladie comme
irrémédiable.

Mythe 6: L’accès à l’aide
médicale à mourir n’incite pas au suicide.

Les
faits :
    L’AMM
altère profondément la relation thérapeutique clinique. Certains patients nous
disent déjà : « Pourquoi faire ces efforts quand l’AMM arrivera
bientôt et que je pourrai choisir la mort? » Certains autres patients
demandent l’AMM alors qu’ils s’améliorent, mais qu’ils ne s’en aperçoivent pas
encore. D’autres encore affirment que l’AMM est moralement acceptable puisque
la Loi et leur médecin le disent…  et
cela s’accompagne de tous les pièges d’un confort médical idéalisé et de la
perte de la culpabilité qui accompagne souvent le suicide.  Et nous savons que l’offre d’AMM par un
médecin véhicule un message d’impuissance avec une incitation suicidaire cachée :
choisissez donc l’AMM.

Mythe 7 : Un psychiatre
qui tue un patient ne viole pas l’éthique médicale.

Les
faits :
     L’Association Médicale Mondiale condamne l’AMM
en tant que violation manifeste de l’éthique médicale. L’Association Américaine
de Psychiatrie condamne son utilisation dans un contexte de santé mentale. L’Association
canadienne de Psychiatrie (ACP) n’a pas consulté ses membres à ce sujet depuis
2016 et sa position actuelle se résume ainsi :

« De
lourdes questions légales, cliniques, éthiques, morales et philosophiques
rendent particulièrement délicate l’utilisation de l’AMM en santé mentale. L’
ACP n’a pas statué si l’AMM devait ou non être rendue disponible lorsque la
santé mentale du demandeur est la seule morbidité présente. » Les
associations professionnelles ont le devoir de faire la promotion de soins fermement
établis et confirmés par des expertises cliniques. Malheureusement l’ACP se
réfugie dans une neutralité qui supporte tout et rien, minant ainsi sa
crédibilité en se pliant à des dictats politiques au détriment des données
scientifiques requises et de sa responsabilité éthique. Les pensées suicidaires
sont souvent ambivalentes. Nous ne devrions pas avoir de législation qui incite
à la mort des patients susceptibles d’amélioration ou de guérison. Ouvrir une
large voie au suicide est éthiquement indéfendable. On ne peut tendre un
revolver de la main d’une blouse blanche. L’occasion fait le larron.

Mythe 8 : L’AMM n’est pas
un suicide.

Les
faits :
    Le
Gouvernement du Canada définit le suicide comme étant « l’action
intentionnelle de s’ôter la vie ». L’AMM est un suicide par définition.
L’Association américaine de Suicidologie pense que l’AMM est bien un suicide,
sauf peut-être dans le contexte d’une maladie terminale. Ceux qui disent que le
suicide est une réalité impulsive et violente, alors que l’AMM est un geste de
douceur, de paix et de dignité, définissent arbitrairement ce qu’est le
suicide. L’ingénierie sociale commence toujours par l’ingénierie du langage. Se
suicider, c’est choisir des actions qui causeront votre mort quelles que soient
ces actions. La majorité (75%) des suicidés a planifié le suicide, souvent en
tenant compte de son impact sur les personnes qui les découvriront et sur leurs
proches.  Il est faux de prétendre que le
suicide soit un geste violent et impulsif : ceci perpétue un stéréotype
répandu dans les médias. Il est clair cependant que le suicide véhicule toujours
une souffrance profonde pour les proches. Le prétexte du confort médical et
l’exonération morale que la médecine propose faussement ici n’y changent rien.
En fait, cela exagère les blessures du fait de la trahison de la médecine et de
l’État.

Mythe 9 : Un médecin qui
aide un patient à se suicider ne soulève plus de problème moral dans une
société pluraliste et séculière.

Les
faits :
    La
réflexion sociale, éthique et religieuse ne supporte pas cette affirmation. Les
jugements et la condamnation des médecins qui tuent leurs patients ont été
dominants depuis des millénaires. Mais dans notre société pluraliste, les
médias, les politiciens, les milieux académiques relèguent souvent le débat sur
le suicide comme un épiphénomène survenant en marge du discours social
prépondérant.  La dévaluation des
opinions inspirées par les religions ou par les croyances religieuses contraste
ironiquement avec le fait que 70% des Canadiens se déclarent porteurs de
valeurs religieuses ou spirituelles. Mais plusieurs taisent en public ce qu’ils
croient en privé.

Tous les
arguments portant sur la dignité humaine et sur le respect mutuel sont
enracinés dans des valeurs religieuses qui ont influencé les valeurs et les
lois canadiennes. Les protagonistes de l’AMM qui évacuent les objections de
leurs adversaires comme venant de « personnes religieuses qui ne peuvent pas
dire, ni à la société ni à moi, ce qu’il faut faire » n’ont pas compris ou
ont dévalorisés la profondeur de l’héritage éthique qui sous-tend nos
structures sociales.

Les
droits de la conscience sont en fait enracinés dans le respect de ce qui
informe notre conscience : une profonde révérence morale née de la foi en
quelque chose qui est présent chez moi comme chez l’autre. Beaucoup des argumentaires
qui s’opposent à l’AMM ne sont pas d’origine religieuse ou déontologique, mais proviennent
d’une éthique utilitaire, de la vertu et de l’éthique professionnelle. Il y a
plusieurs lunettes pour regarder notre terre commune et nous devons avoir le
courage de regarder ensemble ce que le suicide assisté implique pour nous comme
personnes éthiquement (concept religieux ou non-religieux) conjointement responsables
de l’édification d’une société humaine bienveillante et attentive aux plus vulnérables.

Mythe 10 : Les personnes
les plus malades au Canada ont accès à de bons soins.

Les
faits :
    En
fait seulement 1 personne sur 3 a droit à de bons soins en santé mentale. Le
TMS utilisé pour traiter la dépression résistante au traitement est maintenant
efficace à 90%, mais n’est disponible que dans 4 provinces seulement. Les
listes d’attentes pour les soins peuvent se décliner en années. Les citoyens en
zone rurale sont mal desservis.

En ce
moment, 6000 des patients les plus malades d’Ontario doivent attendre 5 ans
pour obtenir des traitements psychiatriques spécialisés. Ce sont surtout des
cas de maladies dégénératives. C’est comme recevoir un diagnostic de cancer et
devoir attendre des années pour obtenir une chimiothérapie, alors que la
maladie progresse inexorablement. Ceci est un exempt de stigmatisation et de
discrimination. Choisir la mort en une absence de traitement disponible n’est plus
un choix.

Mythe 11 : Ne pas donner
accès à l’AMM aux personnes souffrant de maladie mentale est discriminatoire.

Les
faits :
     Cet argument simpliste d’une « équité
d’accès » à l’AMM s’impose avant « l’égalité des soins »,
le « droit aux soins » et le « droit à la vie ». Cet
argument a de la valeur et il s’impose comme un souci de justice. Mais bien
compris, du point de vue plus large du contexte des souffrances, il est
tragiquement étroit. Dans le monde complexe de la réalité des soins de santé,
c’est une approche simpliste. C’est comme dire que tous, dans le carré de
sable, ont un droit aux mêmes jouets sans tenir compte des enfants amputés ou
en chaise roulante qui ne peuvent entrer dans le carré de sable.

Mythe 12 : L’AMM pour
cause de maladie mentale accroît l’autonomie individuelle.

Les
faits :
    Tous
les suicides sont des tragédies. En planifiant leur suicide, les personnes
évaluent les différentes options possibles. Beaucoup choisissent la surdose.
D’autres choisissent une méthode qui leur est plus accessible ou plus
acceptable. L’AMM est une option de plus, mais elle n’accroît pas
l’autonomie : vous pouvez toujours planifier vos propres plans.

C’est un
peu comme ce scénario : Je change moi-même l’huile de ma voiture. Je peux
regarder sur YouTube comment faire et acheter les outils requis; je pourrai me
salir, mais j’ai la possibilité de décider de le faire. Si le gouvernement
demande à un garagiste de le faire pour moi, mon autonomie n’est pas accrue,
cela a seulement rendu plus facile d’arriver au même résultat. Les avocats de
l’AMM confondent autonomie et facilitation.

Les partisans
de l’AMM disent que si nous ne permettons pas l’aide à mourir, nous forçons les
gens à se tuer eux-mêmes de façon horrible et violente. Comment et qui les
force? Beaucoup de gens se tuent de façon réfléchie, paisiblement. Dire le
contraire fait preuve d’une ignorance du monde réel.

Du point
de vue de la prévention du suicide, ce geste ne devrait pas être facile à
réaliser. Nous avons deux exemples clairs (le gaz en Angleterre et le poison au
Sri Lanka) qu’une opportunité facilitée a un effet facilitateur. Cela est vrai
aussi pour les fermiers avec les armes à feu et les médecins avec les
médicaments. Et bientôt pour les patients avec les médecins…

La
suggestion, la tentation, l’abus de pouvoir, la fausse exonération morale,
l’encouragement à la démission et à la mort ne sont pas des gains d’autonomie.

Mythe 13 : Les gens
méritent la mort dans la dignité que l’AMM leur offre..

Les
faits :
    Ce
débat déforme le concept même de dignité. La dignité, c’est ce qui mérite
l’honneur et le respect. Les protagonistes de l’AMM croient que la perte de la
santé, du contrôle de ses actions, de son aspect habituel ou du jugement
critique est une perte de dignité. Ils ont oublié l’essentiel que reflète le
respect et l’amour de l’autre en toutes circonstances.

Donner un
bain à sa grand-mère, entrer dans une conversation à mi-voix au seuil d’une
séparation, assurer une présence silencieuse au cours d’une longue nuit où on
attend le dernier souffle, voilà de grands moments de dignité.

La
dignité émane de notre relationnel. Elle se manifeste dans le regard d’un autre
qui vous traite respectueusement et non avec dédain, en vous faisant sentir que
vous le dérangez.

La
dignité n’a rien à voir avec votre décès. Mourir dans la dignité, c’est mourir
dans un milieu riche en respect, en soins attentionnés et en attentions
délicates. Ceux qui pensent autrement n’ont rien compris à la dignité.

Mythe 14 : Les gens qui
ont beaucoup souffert veulent l’AMM.

Les
faits :
    Non.
Ils veulent le soulagement de leurs souffrances. Mais ils ont fini par croire
que la mort est la seule délivrance possible. Malheureusement, une longue
souffrance rétrécit l’horizon décisionnel : certains refusent même les
options efficaces d’allègement qu’on leur présente. Dans les expériences sur
des animaux de laboratoire, on appelle cela un « désespoir acquis ».

Les
éthiciens parlent du désir de premier ou de second ordre. Par exemple, mon désir
de premier ordre pourrait être de fumer une cigarette, mais mon désir de second
ordre, mon désir le plus profond, est d’arrêter de fumer pour préserver ma
santé. Avec l’AMM, une personne peut désirer mourir pour soulager immédiatement
sa souffrance, mais son désir du second ordre est de guérir, de vivre, et d’avoir
une vie riche de sens.

Mythe 15 : Si un médecin
dit que l’AMM est acceptable moralement, c’est vrai !

Les
faits :
    Qu’est-ce
qui ferait qu’un médecin serait un meilleur expert en moralité que votre propre
conscience? Les médecins sont devenus les prêtres d’un âge nouveau, mais ils
ont les mêmes capacités morales que tout autre Canadien. Un médecin, avec le
halo de bons soins et d’expertise médicale qui l’entoure, peut véhiculer une
fausse absolution et une fausse exonération morale pour une personne qui
choisit le suicide. Celle-ci utilise le médecin comme une arme létale qui le
justifie. C’est une danse de prétentions mutuelles qui ne résiste pas à
l’analyse éthique. C’est un protocole suicidaire caché derrière un masque de
fausse compassion, de déconstruction, de casuistique biaisée, de fausse-certitude
où la naïveté tient lieu de justice.

Mythe 16 : Les gouvernements
ne proposent pas l’AMM pour des raisons économiques.

Les
faits :
    Est-ce
vra.?   Pourquoi alors cette analyse récente des coûts
et des économies reliées à l’implantation de cette nouvelle loi? Le
gouvernement calcule que 150 millions seront épargnés la première année. Si
l’AMM est un droit citoyen, qu’on doit accorder à chaque demandeur en fin de
vie, pourquoi considérer ces coûts? Après tout c’est évident que de faire
mourir plus tôt les patients en fin de vie, les handicappés, les patients en
santé mentale, les personnes désavantagées, représente une économie monétaire.
Serait-ce-ce devenu noble de tuer les patients plus malades pour en rediriger
les coûts vers ceux qui ont plus d’avenir? N’est-ce pas là un double acte de
compassion?

Mythe 17 : L’AMM est une
forme de traitement ultime de la maladie mentale.

Les
faits :
    Tuer
quelqu’un n’est jamais un soin. Un soin ouvre l’avenir. La mort le ferme. C’est
une façon d’éliminer à la fois la souffrance et le souffrant.

Mythe 18 : Essayer de
protéger les personnes atteintes de maladies mentales contre l’AMM est une
discrimination à leur endroit : c’est affirmer qu’elles ne sont pas capables de
prendre leurs propres décisions.

Les
faits :
    Tout
le monde accepte le fait que la plupart des malades souffrant d’une maladie
mentale sont aptes à prendre leur propre décision. Tout le monde accepte aussi que
certains malades deviennent inaptes du fait de leur maladie (psychose,
dépression suicidaire). C’est plus compliqué pour les cas intermédiaires, dont
l’aptitude est incertaine et qui ne peuvent donc pas donner pleinement un consentement
à l’AMM. La recherche montre que sur 100 psychiatres qui évaluent une personne
dont l’aptitude est incertaine, 35 auront une opinion d’un type, et 65 d’un
autre. Différents psychiatres de différentes spécialités et avec différents
niveaux d’expérience, jugent différemment. Et ils ont aussi des biais comme
tout le monde.  Il y aura donc des
psychiatres qui deviendront des super-promoteurs du suicide assisté. Les
patients pourront magasiner leur médecin jusqu’à trouver le bon…

Mythe 19 : Nous évaluons
déjà les capacités décisionnelles de patients porteurs à la fois de maladies
physiques et de maladies mentales; nous devrions pouvoir faire de même pour les
patients souffrant de maladies mentales seulement .

Les
faits :
    Les
évaluations faites au Canada pour offrir l’AMM le sont très majoritairement
chez des patients présentant une maladie physique terminale. Cette condition
est au Canada (mais pas au Québec) LA condition qui peut ouvrir la porte à
l’euthanasie. Il n’existe pas de maladie terminale qui soit purement
psychiatrique. Si la condition proposée par les protagonistes de l’AMM pour l’accorder
aux patients avec un problème de santé mentale est la « souffrance
insupportable » subjective, alors la porte est ouverte pour toutes les personnes
qui vivent une telle condition, quelque en soit la raison (divorce, deuil,
fatigue de vivre) pourvu qu’une condition médicale significative quelconque
soit présente pour justifier leur demande.

Mythe 20: si l’AMM est légale,
elle est forcément éthique.

Les
faits :
     Le fait que la Loi permette de faire une chose
ne garantit pas son caractère moral. Les lois ont permis l’esclavage, l’apartheid,
l’eugénisme, la stérilisation forcée, le racisme systémique, le sexisme,
l’âgisme et j’en passe.  Cette loi
rejoint un long défilé de lois immorales…

Mythe 21 : l’AMM pour la
maladie terminale et l’AMM pour la maladie mentale, c’est

la même chose.

Les
faits :
    La
maladie terminale débouche sur la certitude d’un décès prochain et l’abandon de
tout espoir de guérison. La maladie mentale n’implique pas la mort et un espoir
d’amélioration est permis. Ce sont deux situations très différentes. Dire que
ces deux situations sont comparables, c’est déformer la logique au service
d’une idéologie.

Lorsque
le critère d’une « mort raisonnablement prévisible » est retiré de la
Loi C-7, on change en pratique une mort inévitable prévisible à court terme
pour un mort possible à long terme. Si ce possible implique un délai de 60 ans
et non de 6 mois , parle-t-on de la même chose?

Certains,
extrapolant des quelques récits relatant un au revoir chaleureux échangé au
cours d’une AMM,  pensent que la même
chose est possible en dehors d’un contexte de terminalité. Au contraire,
l’expérience des Suisses, des Hollandais, des Belges montre que l’AMM est alors
empreinte de détresse (les familles ne supportent pas le geste, refusent d’y
participer, prennent des recours légaux, refusent de croire à l’impossibilité
d’une amélioration de l’état du malade, se sentent abandonnées) et certains
membres en sont traumatisés avec même l’occurrence de stress post-traumatique.

Mythe 22 : Il n’y a pas de
distinction à faire entre maladie physique et maladie mentale en matière d’AMM

Les
faits :
    Il
y a des maladies du cerveau qui font clairement partie du domaine des maladies
psychiatriques. Physiologiquement, entre l’organe et sa fonction, il existe un
continuum : nous ne sommes qu’une seule entité. Et souffrir veut toujours
dire souffrir. Mais sur le plan du diagnostic et de la caractérisation des
maladies, un tel continuum n’existe pas. Il y a trois catégories de
maladies : les maladies physiques, les maladies mentales et les maladies mixtes.

Les
maladies mixtes incluent les démences (l’ Alzheimer par exemple), certaines
maladies comme le Huntington, le Parkinson etc… qui peuvent amener le malade à
un état de statut terminal. D’autres maladies mentales pures qui causent des
symptômes psychiatriques tels que des pensées suicidaires, des troubles de
l’humeur, une dépression, une psychose… et une longue liste de symptômes ou de
regroupement de symptômes, sont clairement différentes des maladies physiques du
cerveau qui causent des symptômes psychiatriques. Ces maladies mentales ne
conduisent pas à un état de terminalité.

Voici
une autre façon de considérer  ces
différences. Avec une maladie physique, je sais quand j’ai épuisé tous les
traitements disponibles, indépendemment des conditions sociétales de
dispensation des soins.

Avec la
maladie mentale

               Le traitement est souvent indisponible
pour cause de discrimination sociale;

               Le traitement n’est pas débuté à
cause de préjugés sur le patient;

               Le traitement est souvent
abandonné à cause de préjugés sur le patient;

La disponibilité des traitements n’est jamais épuisée parce que
l’arsenal disponible est très varié et parce que la réponse au traitement peut
prendre des années.

Enfin, il est impossible de prédire qui répondra au traitement et chez
qui les souffrances seront allégées.

Mythe 22 : La majorité des
psychiatres souhaitent que l’AMM puisse être offerte aux patients porteurs
d’une maladie mentale

Les
faits :
    Les
psychiatres sont très divisés sur cette question. Nous connaissons mal l’ampleur
de cette division, mais nous savons qu’elle existe. Quiconque prétend qu’un
consensus émerge autour de cette question ne fait que spéculer. Les psychiatres
ont l’expertise et l’expérience requise pour soigner ces maladies, mais on ne
leur a pas demandé clairement d’analyser les conséquences du contexte clinique
ou des propositions législatives sur cette question de l’accès à l’AMM. Ils demeurent
très divisés sur la chose.

En 2016,
500 des 5000 psychiatres du Canada ont répondu à un sondage sur cette question.
75% se sont opposés à l’AMM pour cause de maladie mentale. L’Association
psychiatrique canadienne n’a pas consulté ses membres depuis 2016. Sa position
actuelle se veut neutre : « Il y a des raisons légales, cliniques,
éthiques, morales et philosophiques qui rendent ce débat complexe. L’APC n’a
pas établi si l’AMM devrait être disponible ou non pour les patients porteurs
d’une maladie mentale comme seule raison pour la demande de cette
procédure. » Notez que l’Association américaine condamne clairement
l’utilisation de l’AMM pour cause de maladie mentale : ils considèrent cela comme
une violation éthique extrême.

Récemment
263 des 1300 psychiatres du Québec, ont répondu à un sondage. 36% s’opposaient
à l’AMM pour cause de maladie mentale en toute circonstance et 42% ont précisé
qu’il fallait avoir bénéficié d’au moins 10 ans de traitement avant de pouvoir
conclure que les traitements additionnels avaient peu de chance de succès.

Certains
ont estimé que cette division des opinions reposait uniquement sur des différences
de valeurs personnelles. D’autres défendaient que ces considérations d’éthique
professionnelle devaient s’appliquer à tous les psychiatres. Une longue liste
d’association médicale  est d’accord avec
ce point de vue.

Certains
disent que ce débat n’est qu’un débat sur les valeurs sociales dominantes.
D’autres disent que des données scientifiques fortes doivent absolument supporter
ces choix éthiques : des données sont requises pour adopter un
comportement appuyé sur des évidences probantes. L’éthique appliquée utilise
des données de ce type. La science actuelle ne supporte pas un caractère
irréversible de la maladie mentale; nous sommes incapables de prédire qui
s’améliorera ou non avec le temps. En ce moment, tous les psychiatres s’accordent
pour dire qu’on ne sait pas prédire l’évolution individuelle de nos malades.

Certains
psychiatres ont soutenu que l’AMM ne correspond pas à un suicide. D’autres
disent : en dehors d’une situation médicale terminale, nous ne pouvons
distinguer les personnes qui désirent l’AMM  parce qu’ils sont en fait suicidaires de ceux
qui le demandent à  cause de la présence
d’une maladie mentale grave. Cette position est aussi celle des associations
professionnelles d’experts en suicide, et de beaucoup d’autres associations.

Quelques
psychiatres pensent qu’on devrait pouvoir aider à mourir quelqu’un qui estime
qu’il a « suffisamment » souffert de sa maladie.  Évidemment, on ne s’entend pas ici sur ce que
« suffisamment » veut dire, ni sur la nature optimale des traitements
reçus.

D’autres
encore disent qu’il est impossible de prévoir quand une condition s’améliorera
grâce un traitement donné et qu’il convient de persévérer à rechercher un
traitement susceptible d’aider le malade.

Ces
opinions diverses soulignent la présence de profondes divergences de vues entre
ces professionnels. Des différences d’évaluation clinique, d’interprétation des
histoires de vies, d’expérience professionnelle, d’interprétations des mêmes
données objectives aboutissent à cette disparité. C’est compliqué. Ce qui est
simple est ceci : si l’AMM devient facilement accessible aux patients souffrants
de problèmes de santé mentale, nous sommes à 100% certains que nous ferons de
multiples erreurs en enlevant la vie à des patients qui se seraient améliorés…
mais nous ne savons pas lesquels. Ces centaines de personnes qui mourront à
tort d’AMM ne sont pas des statistiques. Si votre conjoint, votre fils ou votre
fille devenait malade, voudriez-vous un psychiatre partisan de l’AMM sur
demande comme médecin pour lui ou pour elle?

La
plupart des Canadiens ne réalisent pas la poussée idéologique qui sous-tend
artificiellement cette provocation législative. Moins de 10% des psychiatres
s’en rendent compte. Plusieurs de mes collègues ont été choqués d’apprendre
qu’on pourrait offrir l’AMM à des patients qui n’ont pas pleinement reçu les
traitements standards reconnus efficaces pour leur condition. Ils sont
absolument certains que plusieurs se seraient cliniquement améliorés si on
avait poursuivi leur traitement. On devrait donc exclure la maladie mentale comme
critère d’accès à l’AMM de la Loi C-7. 

Le
Canada offre l’ AMM à tous, mais pas des soins palliatifs à tous, ni l’aide
aux handicapés, ni les soins de santé mentale à tous. Devons-nous nous féliciter
d’aider les gens à mourir plus facilement alors qu’on ne leur donne pas les
ressources requises pour vivre? Comment justifier la Loi C7 si le droit aux
soins de santé de nombreux Canadiens n’est pas respecté ou simplement ignoré.
Est-ce cela, un choix libre, au Canada?

John
Maher MD FRCP (psychiatre)                                                             

Président
de l’Association ontarienne ACT et FACT

Éditeur
en chef du Journal d’éthique en santé mentale

Traduction:
VDD

0

À propos de l'auteur: