Aux membres de la Commission spéciale sur l’évolution de la loi concernant les soins de fin de vie:

Le 25 août 2021

Nous vous remercions de nous avoir donné l’opportunité de partager notre expérience et notre point de vue avec vous grâce à notre mémoire et à notre témoignage oral devant vous le 12 août 2021.

Nous vous écrivons maintenant afin de développer deux questions importantes qui ont été soulevées durant l’échange qui a suivi notre témoignage.

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La situation des soins de santé au Québec sous la présente loi 

Nous avons eu l’impression que certains membres de la Commission ont été surpris et troublés par notre présentation de la situation des soins de santé au Québec sous l’actuelle « Loi concernant les soins de fin de vie ». Nous sommes bien conscients que cela peut  grandement différer de ce qu’on entend ailleurs.

En fait, il  y a beaucoup de patients qui se voient proposer  l’AMM et perdent alors  tout espoir qu’ils pouvaient encore entretenir. Nous avons récemment reçu ce courriel parmi tant d’autres :  Est-ce normal qu’on ait demandé à mon père ce qu’il voulait (phase terminale d’un cancer du poumon), qu’il ait répondu « la vie » à son entrée [à l’hôpital] et qu’ensuite on lui parle d’aide médicale à mourir sans qu’il en fasse la demande, après quelques jours d’hospitalisation et un suivi en soins palliatifs? Est-ce que la règle n’est pas que le patient demande par lui-même l’aide médicale à mourir? Et j’ajouterai que papa a dit oui à un certain moment. C’est [une personne] qui connaissait bien mon père et ses valeurs, qui lui a reposé la question pour s’assurer qu’il avait bien saisi. Papa est finalement revenu sur sa décision. Nous l’avons emmené chez moi pour qu’il puisse vivre ses derniers jours entouré de maman et de membres de la famille. 

Une autre problématique est l’AMM administrée dans une situation qui semble sans issue parce que personne n’a suivi toutes les pistes possibles  jusqu’au bout avec le patient et sa famille. Ce n’est pas étonnant dans une situation de manque de ressources.  Beaucoup de patients, par exemple, refusent des services du CLSC qui pourraient les soutenir à domicile en sécurité, parce qu’ils craignent de laisser entrer des étrangers chez eux.  Le défi est d’établir un lien de confiance avec le patient, pour le rassurer en lui faisant comprendre qu’on a les mêmes objectifs que lui (son autonomie et sa sécurité), et  pour introduire progressivement les services  en dialoguant constamment  avec lui. On parvient ainsi à créer un filet de sécurité autour du patient. Cela peut prendre plusieurs mois de visites qui semblent inutiles, mais  le résultat est souvent très bon.

Un médecin nous a parlé d’un homme de 80 ans qui vit seul et  souffre de dépression et d’un début de Parkinson. Il ne prend pas ses médicaments régulièrement,  ne mange pas bien, maigrit et perd de la force musculaire.  Il se rend souvent à l’urgence à la suite  de chutes et de crises de panique au sujet de sa santé, mais il refuse les services du CLSC. Lors d’une visite à l’urgence, il a demandé l’aide médicale à mourir. À la grande surprise de notre collègue, deux médecins ont approuvé l’AMM, posant  un diagnostic de « Parkinson terminal, stade 4 ». Par la suite, le patient a retiré sa demande. Il a été renvoyé chez lui  sans rendez-vous de suivi ni demande de services à domicile. Très logiquement, sa famille c’est posé la question suivante :  s’il est si malade, même de façon terminale, pourquoi  ne l’a-t-on pas gardé à l’hôpital le temps  d’organiser les soins à domicile ou une relocalisation en CHSLD? Mais le diagnostic était erroné : il n’est pas atteint de « Parkinson terminal, stade 4 ». Il a plusieurs syndromes gériatriques et une perte d’autonomie qui pourrait s’améliorer s’il avait le soutien nécessaire à domicile.

Certains patients, par ailleurs, reçoivent l’AMM même si leur condition ne répond pas aux critères de la loi, parce que les évaluations médicales sont faites à la hâte et inadéquates. D’autres  patients dont l’aptitude n’a pas été bien évaluée reçoivent l’AMM même s’ils sont inaptes à consentir. D’autres encore reçoivent l’AMM malgré un consentement inadéquat dû au fait qu’ils ne comprennent pas suffisamment leur diagnostic et leur pronostic ; parce qu’ils viennent tout juste de recevoir des nouvelles pénibles au sujet de leur condition et n’ont pas encore eu le temps de se faire à l’idée ; parce qu’ils se sentent insécures à l’hôpital, à domicile ou au CHSLD et voient l’AMM comme la seule issue; parce que d’autres options de traitement ne sont pas disponibles ou qu’ils ne les connaissent pas ; ou parce qu’ils craignent d’être un fardeau pour leur famille.

Nous ne jugeons pas des intentions ou du professionnalisme des médecins impliqués. Certains croient sincèrement que la mort est une meilleure issue que la vieillesse, le handicap ou une maladie grave. Certains intériorisent le désespoir de leur patient et ne voient pas d’autres options. Certains n’ont pas les connaissances ou l’expertise requise pour envisager d’autres solutions. Tous travaillent sous de nombreuses contraintes. Comme l’AMM est largement promue, et il y a même une obligation de référer pour évaluation tout patient qui en fait le demande (ce qui n’est pas le cas pour d’autres procédures en médecine), ils peuvent trop facilement accepter la requête de leur patient comme une solution au manque de ressources et à la souffrance immédiate du patient.

Ce que ces médecins écrivent dans leur rapport à la Commission des soins de vie représente leur évaluation honnête de la situation ; mais notre expérience démontre clairement que des patients reçoivent l’AMM malgré le fait qu’ils auraient pu vivre heureux avec des symptômes tolérables. La CSFV n’a aucun moyen de déterminer si et quand de tels cas se présentent.

Nous vous exhortons à saisir l’opportunité actuelle pour rendre la présente loi plus sécuritaire pour nos concitoyens. On pourrait, par exemple, exiger que les établissements de santé étudient toute requête d’AMM avant la mort du patient. Cette révision comprendrait : le diagnostic et le degré de certitude de ce diagnostic ; la santé mentale du patient et son aptitude décisionnelle ; les sources de la souffrance ; toutes les autres options de soutien thérapeutique, psycho-social et spirituel possibles ; les éléments de stress vécus par le patient, la famille et les professionnels impliqués. Tout cela pour s’assurer que la décision soit prise librement, sans contrainte, et que tous les moyens de soulager la souffrance aient été explorés et rendus disponibles au patient, avant de permettre la mort par AMM. Cet élément pourrait être ajouté au mandat des Groupes interdisciplinaires de soutien (GIS), qui auraient alors besoinde plus de ressources et de l’autorité nécessaire pour déterminer la réponse à donner à une requête d’AMM.

Cette révision est plus cruciale que jamais, maintenant que la loi ne requiert plus qu’un patient soit en fin de vie pour mourir par AMM.

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Demande anticipée d’AMM par acte notarié

Au moment de notre échange sur la question de l’AMM par demande anticipée[1], M. Girard nous a demandé notre opinion sur l’échange qui avait eu lieu plus tôt dans la journée avec des représentants de l’Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autres services publics du Québec, et sur l’idée que de telles requêtes puissent être faites de façon sécuritaire par acte notarié.

Cette proposition ne répond pas aux objections que nous avons soulevées dans notre mémoire :

  • Que le consentement anticipé n’est pas équivalent au consentement au moment de l’AMM, puisqu’il ne peut jamais être vraiment éclairé ;
  • Que la loi québécoise prévoit des directives médicales anticipées qui permettent l’expression du désir d’être laissé tranquille, c’est-à-dire de refuser certaines interventions, mais non pas d’exiger une intervention spécifique ;
  • Qu’aucune juridiction dans le monde ne permet de demande anticipée contraignante pour l’AMM, et que dans les rares pays qui permettent des demandes anticipées non-contraignantes, l’euthanasie d’adultes inaptes est empreinte de controverses et de problèmes éthiques ;
  • Que, de plus, la vie des personnes inaptes souffrant de démence est toujours marquée par la présence d’intérêts conflictuels variés : fardeau du malade poursa famille et les professionnels, coûts, héritage, ressources disponibles et autres facteurs.

Nous aimerions aussi commenter le rôle et l’expertise des notaires. Comme l’a déclaré la Chambre des notaires du Québec : En tant que juriste de l’entente et officier public, le notaire est particulièrement bien placé pour vous aider à prendre des décisions ou vous aider à régler un conflit.[2]

Les notaires ont l’expertise nécessaire pour déterminer et certifier qu’un document est conforme à la loi et reflète bien la volonté du signataire. Ils ne prétendent pas posséder les connaissances médicales ou l’expertise nécessaire pour évaluer l’aptitude décisionnelle d’une personne. Ils s’assurent au mieux de leurs capacités que la personne qui se trouve devant eux comprend bien le document à signer, mais ils la réfèrent à un médecin en cas de doute sur son aptitude.

Nous avons toutefois souvent vu des mandats de protection notariés très troublants, parce qu’ils contiennent des clauses donnant des instructions médicales que ni nos patients, ni les notaires eux-mêmes, ne semblent vraiment comprendre.

L’exemple suivant revient souvent :

Mon mandataire en fonction devra prendre toutes les décisions quant aux soins exigés par mon état de santé dans la mesure où ils sont opportuns dans les circonstances en tenant compte des éléments suivants, à savoir :

  1. mon opposition à tout acharnement diagnostique, soit à des tests et à des examens de tous ordres qui s’avéreraient superflus compte tenu de mon état;
  2. mon opposition à tout acharnement thérapeutique, soit à l’utilisation de moyens thérapeutiques ou à l’administration de traitements qui, compte tenu de mon état, sont disproportionnés et ne font que multiplier ou prolonger inutilement mes souffrances et mon agonie…. alors que mon état est jugé irréversible
  3. mon souhait de mourir dignement. Pour ce faire, j’autorise mon mandataire à refuser le recours à des appareils ou autres moyens analogues pour me maintenir en vie
  4. mon opposition à ce que je subisse une opération ou un traitement qui aurait pour effet de laisser des séquelles graves ou de me laisser dans un état végétatif;…

Tous les termes soulignés dans ce texte sont ambigus et peuvent être compris de bien des façons différentes, dépendant de l’opinion personnelle et de la perspective du professionnel de la santé ou du membre de la famille qui le lit. Nous avons souvent constaté que le patient lui-même ne comprenait pas clairement ce qu’il signait, mais qu’il décidait de signer en faisant confiance au notaire.

Que signifie exactement « acharnement » diagnostique et thérapeutique ? Et dans quel état devrait se trouver un patient pour qu’on considère une mesure diagnostique ou thérapeutique « superflue » ou « disproportionnée » ?

Qu’est-ce qu’une condition jugée « irréversible » ? Cela veut-il dire que la personne ne pourra pas retrouver exactement son état de santé précédent ? Ou qu’elle ne se remettra pas du tout ? Comment définirait-on l’état d’une personne qui peut se remettre partiellement, avec un certain degré de dépendance ou de handicap ?

 Aucun médecin ne prescrirait une opération ou un traitementen prévoyant des « séquelles graves » ; de nombreux traitements peuvent pourtant, bien que rarement, avoir des séquelles graves. Comment déterminer le niveau de risque acceptable ?

Nous rencontrons régulièrement dans des mandats notariés au Québec ce genre de simplification à outrance relative aux décisions entourant les soins critiques ou de fin de vie. Comme plusieurs des textes que nous voyons sont identiques, nous présumons qu’ils proviennent d’une source considérée fiable par les notaires, qui copient ces textes et les incluent dans les mandats de leurs clients. Le contenu va pourtant au-delà de leur domaine d’expertise et ils ne sont pas habilités à expliquer les subtilités de ces décisions à leurs clients. Les clients signent parce qu’ils font confiance au notaire, et tout semble très bien jusqu’à ce que vienne le temps de mettre les directives en œuvre ; le dénouement peut alors être bien différent de ce que la personne malade prévoyait.

Des situations semblables risquent de se présenter si le gouvernement du Québec permet la mort par demande anticipée, par un acte notarié : des textes seront composés et proposés à tous les clients, qui les signeront sans être informés de leur signification ou des possibles conséquences graves qui, dans ces circonstances, signifieraient causer directement leur mort. Nous ne pouvons concevoir d’autres moyens d’atteindre l’objectif fixé. Mais la situation sera très éloignée du consentement éclairé qu’exigent l’éthique et la loi.

Nous sommes convaincus qu’il sera impossible de protéger les Québécois vulnérables si l’AMM par demande anticipée est autorisée. Un acte notarié ne peut d’aucune façon assurer la protection désirée.

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Nous n’envions pas votre rôle de devoir entendre tant d’opinions conflictuelles sur les sujets à l’étude et de devoir en arriver à des conclusions qui ne plairont pas à tous. Nous vous exhortons à vous attacher aux faits, non aux opinions, ni aux pressions politiques.  Nous vous exhortons à exercer la plus grande prudence, puisque l’enjeu dans ces délibérations n’est pas la prospérité matérielle ou d’autres biens, mais la vie même de nos concitoyens, incluant tous ceux qui sont incapables de se défendre eux-mêmes.

Nous vous souhaitons beaucoup de sagesse,

Sincèrement,

Catherine Ferrier

Collectif des médecins contre l’euthanasie
1650, avenue Cedar, bureau D17-113
Montréal QC H3G 1A4


[1] http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cssfv-42-1/journal-debats/CSSFV-210812.html#9h30

[2] https://www.cnq.org/votre-notaire/role-du-notaire/

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