Vraie compassion et prudence

Le 11 septembre 2019, la juge Christine Baudouin de la Cour supérieure du Québec a statué que l’interdiction de «l’aide médicale à mourir» à des personnes qui ne sont pas en «fin de vie» (selon la loi québécoise) ou dont le décès n’est pas «raisonnablement prévisible» (Loi canadienne) est inconstitutionnelle. Ravi par sa victoire, le lobby de la mort exhorte maintenant le premier ministre à affaiblir encore plus la loi en supprimant l’exigence selon laquelle une personne doit être apte à consentir à l’euthanasie au moment de son décès.

Le scénario envisagé dans les reportages est celui où quelqu’un, ayant demandé l’euthanasie, perd l’aptitude à consentir à mesure que son état se détériore. Mais les activistes de l’euthanasie réclament également l’injection mortelle pour les personnes inaptes à prendre des décisions en raison de troubles cognitifs, mais qui auraient exprimé le désir de les obtenir par directives anticipées.

Parallèlement, un comité du gouvernement du Québec a publié son rapport le 29 novembre 2019, recommandant l’euthanasie par demande anticipée dans ces deux situations. Par la suite le Ministre fédéral de la Justice, David Lametti a annoncé le 11 décembre son intention de considérer la même question.

Au moins deux personnes atteintes de démence légère mais qui auraient conservé leur aptitude décisionnelle en Colombie-Britannique ont été euthanasiées par de tels médecins, qui ont déclaré: «Ce n’est pas un élargissement de notre loi… c’est une compréhension plus réfléchie de ce que nous faisons… ». Ils n’ont pas été sanctionnés par le BC College of Physicians. Les médecins activistes sont en train de réécrire la loi, supprimant dans la pratique les garanties si soigneusement élaborées par nos législateurs pour protéger les citoyens vulnérables de la nouvelle exemption de l’interdiction de l’homicide dans certains cas.

Nous aborderons dans un autre article la très faible probabilité que celui qui administre le traitement de l’AMM puisse évaluer l’aptitude à choisir le décès chez un patient présentant un trouble cognitif. Une question plus fondamentale est la suivante: à quoi ressemblerait la situation au Canada si l’euthanasie pour cause de démence devenait une pratique acceptable?

Les partisans disent que les gens devraient avoir le droit de choisir s’ils veulent continuer à vivre dans de telles conditions. Mais ont-ils de vraies alternatives? Une des personnes euthanasiées en Colombie-Britannique avait exprimé sa crainte d’être placée dans un CHSLD. Qu’en est-il de soutenir les familles afin qu’elles puissent réorganiser leurs vies, leurs emplois et leurs maisons pour soutenir et prendre en charge un membre de la famille atteint de démence ? Pourquoi ne pas repenser de manière plus créative des alternatives résidentielles pour éviter les établissements de soins de longue durée impersonnels tant redoutés : par exemple, l’approche Carpe Diem a été mise au point à Trois-Rivières ; le village Alzheimer de Langley, en Colombie-Britannique; et le quartier sécurisé en développement à St-Jean QC. Les idées existent mais la réalité n’est pas encore disponible pour la plupart des Canadiens. Pourquoi ne pas plutôt travailler dans cette direction ?

En tant que médecins, nous sommes appelés à honorer et à soigner tous nos patients avec leur personnalité intégrale. Dans la clinique gériatrique où je vois des patients atteints de démence ainsi que leurs familles, je suis constamment inspirée par leur capacité à surmonter la perte cognitive et la dépendance croissante et à trouver de nouvelles sources de joie, en inversant et en approfondissant les relations au fur et à mesure que le soignant devient la personne soignée.  En effet, en 35 ans, je n’ai jamais reçu de demande d’euthanasie, ni avant que cela soit devenu légal, ni dans les quatre ans qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi au Québec. Ce qui nous rappelle que la grande majorité des gens veulent vivre et non mourir.

Lors d’une conférence médicale à laquelle j’ai récemment assisté, un médecin du public a posé une question sur l’éthique de la rétention d’eau et de nourriture par voie orale d’une patiente en CHSLD, causant ainsi la mort par faim et déshydratation.. La patiente souffrait de démence avancée et pouvait manger et marcher, mais s’étant fracturé la hanche, elle s’est vu refuser une intervention chirurgicale et est retournée au centre de soins non-ambulatoire. Elle pouvait maintenant manger mais pas marcher. Son médecin avait donc jugé qu’elle n’avait «aucune qualité de vie». Le médecin semblait très affligée par la présence de cette patiente ainsi que d’autres personnes dans des circonstances similaires dans son établissement. Elle estimait qu’elle devait faire quelque chose pour accélérer leur décès. Si la patiente avait écrit une demande préalable, comme on propose maintenant, on aurait pu l’éliminer rapidement l’établissement.

À l’autre extrémité du spectre, nous avons le monsieur en Colombie-Britannique dont la veuve dit que son « besoin de lire » faisait partie intégrante de sa personnalité « , et qui a commencé à envisager l’AMM quand il ne pouvait plus lire une carte routière.

Ces histoires illustrent le danger de réduire la personnalité aux qualités ou aux capacités d’une personne, plutôt que d’honorer la richesse et l’unicité de chaque personne, indépendamment de ce qu’elle peut ou ne peut pas faire.

Comme le souligne Jean-Marc Barreau dans son livre : Soins palliatifs: accompagner pour vivre!, chaque personne humaine a deux dimensions: le travail / action, qu’il appelle facere, et l’amour /  relations, qu’il qualifie d’agere. Lorsqu’une personne est en bonne santé physique et psychologique, elle se trouve dans un certain équilibre, bien que nous ayons tendance à consacrer plus de temps et d’énergie à la facere qu’à la agere. Lorsque la maladie apparaît, la proportion est inversée et le rôle de l’équipe soignante dans les soins palliatifs (et les soins de la démence) consiste à accompagner la personne à mesure que le travail diminue afin de laisser progressivement plus de temps pour l’amour, jusqu’à atteindre un point où il n’y a que de l’amour. Donné et reçu.

Autoriser l’euthanasie pour la démence réduirait le stress dans la vie de certaines personnes et serait certainement un soulagement pour les finances publiques. Mais cela appauvrirait notre société sur le plan humain en supprimant les membres qui nous appellent à l’amour inconditionnel. Toutefois, comme nous le rappellent l’Association canadienne pour l’intégration communautaire (ACIC) et le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD), le gouvernement et la société ont le devoir d’éviter toute perception négative de la qualité de vie des personnes âgées, des malades et des personnes handicapées et de faire en sorte que la vie avec un handicap ne soit jamais décrite comme une vie pire que la mort.

Voulons-nous être une société qui perpétue la stigmatisation et facilite le départ des canadiens atteints de démence? Ou un lieu qui crée les conditions pour qu’ils vivent heureux jusqu’à leur fin naturelle?

Rendre l’euthanasie inimaginable.

Nous profitons de l’occasion pour vous souhaiter un Joyeux Noël, une Joyeuse Hanoukka, beaucoup de joie dans toutes vos célébrations du temps des fêtes ainsi qu’une nouvelle année paisible.

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente

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