« Suicidez-vous vous-même » Lettre par Dr Marc Beauchamp

« Suicidez-vous vous-même ». Pour un nombre rapidement grandissant de décideurs et de faiseurs d’opinion, ce serait le message implicite des opposants au suicide assisté et à l’euthanasie (donc à l’aide médicale à mourir, AMAM).  Si je comprends bien cette nouvelle définition de l’humanisme, laisser une personne se suicider d’elle-même est une cruauté, DONC il faut le faire via un expert en la matière, professionnellement. Selon ce raisonnement toute demande de mourir devrait en effet être prise en charge par la médecine (ici l’État). Jusqu’à maintenant, on établit une liste de critères d’admission pour procéder: maladie grave ou mortelle, mort prochaine, capacité de consentement, etc. La Cour supérieure vient de faire tomber le critère de la mort prochaine. Le gouvernement actuel du Québec ne fait guère secret de son intention de faire tomber le critère de l’aptitude au consentement en temps réel.

Soyons lucides, logiquement toute forme de sélection selon des balises ou critères préétablis ne fera que générer de la « discrimination » et porter préjudice au nouveau droit universel (et peut-être absolu) de ne pas souffrir. Parce que ce qui est en marche ici c’est bien un nouveau droit, soit le « droit de mourir », ou encore le droit pour soi de recourir à tous les moyens pour éliminer la souffrance, fut-ce la mort.  Logiquement encore une fois, il ne peut plus y avoir de restriction à un droit aussi fondamental dès qu’il est codifié. Le principe d’équité dominera implacablement à mesure que le principe de sécurité sera amoindri, discrédité, nié ou simplement censuré. Notons qu’au tout début de la « réflexion » sur la légalisation de l’euthanasie au Québec, il était impérativement question de balises, de restrictions, de contrôles et de critères. De deux choses, soit que les tenant de cette légalisation ont caché leur jeu (et avaient un agenda secret), soit qu’ils ont changé d’idée lorsqu’ils ont vu l’appui populaire et médiatique à la nouvelle loi et le changement de l’opinion publique. Car il y a une logique implacable et inhérente à cette trajectoire juridique et sociale, et c’est l’avènement un droit à se faire donner la mort médicalement sur demande si on juge son niveau de souffrance inacceptable. Et, comme l’a exprimé le journaliste Yves Boisvert de La Presse, refuser ce droit à une personne souffrante équivaut à lui dire « suicidée-vous vous-même », ce qui serait une insensibilité à la souffrance d’autrui, donc une cruauté injuste.

Au cours de ma carrière de médecin, J’ai côtoyé beaucoup de personnes souffrantes, accablées de souffrances chroniques, souvent irréversibles. J’ai accompagné beaucoup de personnes découragées, qui envisageaient le suicide. J’en ai prévenu plusieurs. J’ai fait de mon mieux pour n’abandonner personne (selon mes limites). Parmi ces suicidaires que j’ai pu convaincre de continuer à vivre (suis-je un monstre de l’avoir fait?), je suis resté lié à quelques-uns, qui viennent parfois me saluer, comme ça, à mon bureau. Il faut voir le visage souriant de la personne en vie qui te visite quelques années après la période de découragement, tenant la main de sa bien-aimée et qui te remercie de lui avoir donné sa chance de vivre plutôt que sa chance de mourir pour comprendre l’ampleur de la chose. J’ose mentionner que la souffrance ou le handicap de cette personne a parfois continué d’être là, mais est devenue vivable, acceptable, et surtout non-définissant. Avec l’application de la nouvelle norme qui s’installe juridiquement, de tels « bonheurs » ne seraient pas. Ces patients auraient trouvé un médecin pour les délivrer de leurs problèmes par la mort. Et par expérience (je vois le visage de personnes réelles en écrivant ceci) plus que par idéologie, j’ose dire: quel dommage ça aurait été, quelle perte.

Quand on porte attention à la chose, On ne peut nier qu’il y a un fondement philosophique et même religieux à ce droit absolu de « mourir quand on veut et comme on veut » qui s’installe progressivement. C’est en fait une nouvelle position morale, qui s’appuie sur une nouvelle religion laïque qui est en train de germer progressivement. D’où l’attachement de plus en plus intolérant des ses adeptes vis à vis ceux et celles qui ne communient pas aux mêmes vérités. D’où la licence qu’ils s’accordent à user de coercition pour forcer les médecins et les infirmières à participer au nouveau culte. Les anciennes religions étaient basées sur des textes religieux « inspirés ». La nouvelle religion universelle laïque le sera sur des textes légaux écrits par de nouveaux sages. Et ces sages (juges et politiciens) ne sont pas seulement ceux qui inspirent, ils disposent aussi des leviers du pouvoir. Ici plus de séparation entre la « nouvelle église » et le pouvoir. Faut-il s’en réjouir? Les médecins du Collectif l’avaient vu venir dès le début. Et ils doivent selon moi continuer à se tenir debout car ils deviennent peu à peu le dernier rempart contre une nouvelle forme de totalitarisme.

Je ne sais pas où tout ça mènera. Des optimistes comme Yves Boisvert ont l’impression que cela augmentera la justice, donc le bonheur de la société. Je suis personnellement beaucoup plus pessimiste. Le bonheur n’augmentera pas lorsqu’on aura éliminé les plus malheureux.

Marc Beauchamp M.D. FRCSC
Chirurgie orthopédique/Orthopedic surgeon
www.beauchamportho.com

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