Qui reste-t-il pour défendre les patients malades et handicapés ?

« Les choses sont ce qu’elles sont », dit la sagesse traditionnelle. Vrai ou faux. A tort ou à raison.

Mais c’était hier. Maintenant, apparemment, les choses sont ce que vous voudriez qu’elles soient :

– Jean Truchon et Nicole Gladu, par exemple, croient qu’ils devraient avoir accès à l’euthanasie en raison de leur handicap, même s’ils sont loin de la « fin de vie » prévue par la loi.

– Le lobby de l’euthanasie a souscrit avec enthousiasme à cette revendication et a fourni les ressources financières et juridiques nécessaires pour contester la loi existante.

– L’honorable Christine Baudouin, juge de la Cour supérieure du Québec, a également convenu que l’état d’invalidité de M. Truchon et de Mme Gladu justifie leur euthanasie. Elle a rendu son jugement à cet effet le 11 septembre 2019, invalidant ainsi la loi actuelle, à moins qu’un appel ne soit interjeté devant la Cour suprême du Canada dans les 30 jours. L’échéance est arrivée et a passé sans que le procureur général du Canada ou du Québec n’intervienne.

– Le premier ministre Trudeau est du même avis, tout comme le NPD et le Bloc québécois, selon leurs déclarations au cours de la récente campagne électorale.

– Les médias enfin, non pas tous, mais la grande majorité d’entre eux, appuient également les affirmations de M. Truchon et de Mme Gladu et proclament haut et fort qu’il est juste d’euthanasier les personnes qui sont handicapées sans pour autant être en fin de vie.

Nous voici donc face à ce qui semble être un consensus inflexible en faveur de l’euthanasie des personnes handicapées et malades, qu’elles soient ou non en danger de mort. Et il est clair que monsieur-et-madame-tout-le-monde peut être pardonné d’accepter et d’appuyer cette idée lorsque les juges, les politiciens, les intellectuels – sans parler de leurs personnalités préférées à la télévision – lisent tous le même texte.

Le seul petit problème avec ce « consensus », c’est que l’immense majorité des personnes malades et handicapées – les soi-disant bénéficiaires de ce « droit de mourir » – ne sont pas du tout d’accord. Elles n’appuient pas le récent jugement de la Cour supérieure. Dès le départ, elles étaient opposées à la légalisation de l’euthanasie.  Quoiqu’en pense le consensus social, qui estime que ces personnes veulent – ou devraient vouloir – mourir, elles ne veulent pas mourir.

L’aspect le plus étrange et le plus déplorable de l’euthanasie au Canada, c’est que l’opinion publique s’est unie pour déclarer que nous devons offrir une mort part compassion aux patients qui souffrent, alors que la clientèle visée – les personnes qui sont réellement handicapées ou malades chroniques et qui se voient maintenant sérieusement, voire agressivement, offrir ce choix affreux – livre un tout autre message. Ces personnes continuent à parler d’une voix presque unanime pour dire qu’elles n’ont pas besoin d’un accès accru à l’euthanasie, mais plutôt d’une protection réelle contre cette pratique. Elles veulent d’abord et avant tout être protégées de la menace que constituent des hypothèses qui se résument ainsi : la vie des malades et des personnes handicapées ne vaut pas la peine d’être vécue.

Plus que jamais donc, en tant que médecins, notre devoir premier est de défendre nos patients et de les soutenir dans leur volonté intuitive et normale de survivre, quelles que soient les pressions environnantes qui les poussent à croire qu’ils devraient, en fait, vouloir mourir.

L’euthanasie a été dépénalisée malgré des craintes convaincantes, rationnelles et largement répandues voulant qu’elle menace la sécurité sociale et physique de nos patients (ceux qui sont vulnérables, handicapés, malades et dépendants). Ce danger a été clairement reconnu, et il a même été pris en considération par la loi (aussi inefficace soit-elle) qui a limité la pratique à ceux qui étaient considérés comme étant sur le point de mourir.

La Cour Supérieure du Québec a maintenant retiré cette mesure de protection, et nos gouvernements fédéral et provincial n’ont pas interjeté appel du jugement. La protection essentielle (en fin de vie seulement) qui a permis la légalisation de l’euthanasie a été cavalièrement balayée du revers de la main, et les craintes unanimes – pleinement justifiées – de la communauté des personnes handicapées ont été ignorées.

Comme on pouvait s’y attendre, il y a eu une réaction unanime, vigoureuse et presque désespérée de ce côté-là. Plus de 60 organisations différentes qui ont évolué organiquement au fil des ans aux niveaux national et régional, dont la plupart ont pour seul but de promouvoir l’inclusion, les droits et les intérêts des personnes handicapées, se sont unies pour condamner le jugement Truchon-Gladu et pour demander au procureur général du Canada d’en appeler de cette décision. Plus de 60 organisations différentes opposées à tout élargissement des critères d’euthanasie, contre deux (2) personnes handicapées (porte-parole du lobby de l’euthanasie, et adulées par les médias).

Ce tollé a été largement ignoré par les politiciens et les médias. Aux yeux de la plupart des gens ordinaires, la situation semble avoir été résolue pour le mieux, une autorité supérieure ayant décidé qu’il était bon pour les personnes handicapées de pouvoir demander et recevoir une mort accélérée comme traitement pour leurs maux.

L’étranger rencontré au hasard ne parlera donc plus de son admiration pour le courage de vivre d’une personne handicapée. Désormais, comme nous l’avons vu dans le débat électoral des leaders en français, il la regardera droit dans les yeux et l’assurera de son profond respect pour son désir (supposé) de mourir. C’est ainsi que se concrétiseront les pires craintes des personnes handicapées.

Nous, médecins opposés à l’euthanasie, sommes parmi les rares personnes qui demeurons des alliés efficaces de nos patients, envers qui nous avons un devoir fondamental. Nous regardons au-delà des simples équations « légal = droit », et « droit = obligation ». Nous avons compris que le consensus en faveur de l’euthanasie est un consensus de personnes en santé. Notre expérience nous a fait comprendre qu’il n’y a rien de normal ou de typique à vouloir mourir. Nous continuons à défendre les souhaits de survie normaux et typiques de nos propres patients : par notre comportement dans notre travail clinique, par notre communication avec les patients; et par nos paroles et écrits publics.

Rendons l’euthanasie inimaginable.

Sincèrement,
Catherine Ferrier
Présidente

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