Mémoire soumis au Comité Sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles Re : Projet de loi C-7

18 novembre 2020

Au Comité,

Le danger de l’accès universel à l’euthanasie est semblable au danger passif et permanent de la noyade. Quelques personnes mourront volontairement en se jetant à l’eau. Mais d’autres trébucheront tout simplement. Et d’autres encore seront poussées.

De même, si certaines personnes mourront vraiment par choix, d’autres peuvent « choisir » l’euthanasie sur un coup de tête né d’un désespoir passager. Mais pire encore : toutes les personnes éligibles à l’euthanasie deviennent automatiquement vulnérables aux pressions exercées par d’autres personnes qui ne peuvent endurer de les voir souffrir, qui sont épuisées par les soins à prodiguer au malade, ou qui bénéficieront d’une manière ou d’une autre de leur décès, qu’il s’agisse de professionnels de la santé, de soignants ou d’héritiers.

Tel était le danger évident de l’euthanasie, même pour les patients en fin de vie, dans la loi fédérale actuelle C-14. Cependant, le projet de loi C-7, déposé à la suite de la décision Truchon-Gladu de la Cour supérieure du Québec, menace d’étendre massivement ce danger à toutes les personnes malades et handicapées, quelle que soit leur espérance de vie.

En conséquence, plusieurs acteurs importants dans le débat entourant l’euthanasie ont exprimé une opposition concertée au projet de loi C-7, que nous nous proposons de discuter brièvement avant de présenter nos propres conclusions.

Réaction médicale au projet de loi C-7

Une déclaration commune a récemment été publiée, signée par plus de 900 médecins et intitulée « Le projet de loi C-7, de l’AMM à la MAM: l’aide médicale à mourir devient la mort administrée par un médecin »

Les points suivants sont extraits de cette déclaration :

Plusieurs Canadiens et Canadiennes ne sont même pas au courant du projet de loi C-7, qui a été redéposé le 5 octobre au Parlement fédéral. Ce projet de loi, qui élargit l’« aide médicale à mourir » (AMM) pour inclure pratiquement tous ceux et celles qui sont malades et qui souffrent au Canada, s’il est adopté dans sa forme actuelle, fera de notre pays le leader du monde dans l’administration de la mort.

En tant que médecins, nous sommes obligés d’exprimer notre stupéfaction en voyant comment des personnes, qui ont peu d’expérience vécue des réalités en jeu dans la pratique quotidienne de la médecine, ont subitement et fondamentalement changé la nature de la médecine en décriminalisant l’euthanasie et le suicide assisté.

Les médecins ne sont pas les seuls à dénoncer cette évolution effroyable. En fait, un tel avis médical n’est rien d’autre qu’une défense des intérêts et des désirs de nos patients.


Réaction des Canadiens handicapés

Le 4 octobre 2019, bien avant l’examen d’un nouveau projet de loi, les membres de la communauté des personnes handicapées ont exigé un appel fédéral de Truchon-Gladu, dans une déclaration signée par 72 organisations distinctes gérées par et pour les personnes handicapées. Il s’agit d’une expression de facto de la volonté de la communauté tout entière, mais elle a été inexplicablement ignorée.

Il [le jugement Truchon-Gladu]ne respecte pas le pouvoir du Parlement de préserver l’équilibre entre les intérêts de la société et ceux de l’individu…

Ce jugement enchâssera les stéréotypes dans la loi et exacerbera la stigmatisation des Canadiens en situation de handicap…

Sans le critère de fin de vie, la Loi canadienne sur l’aide médicale à mourir violerait en plus l’article 10 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH).

Suite à l’étonnant refus du gouvernement d’en appeler de l’invalidation de sa propre loi par un tribunal inférieur, la communauté des personnes handicapées a poursuivi ses communications, notamment un forum national sur l’aide médicale à mourir sur la Fin de vie, égalité et handicap en janvier 2020, et de nombreuses déclarations de diverses organisations, qui ont culminé par un plaidoyer passionné du Conseil des Canadiens avec déficiences le 5 octobre 2020 qui conclut :

« Le Canada doit afficher sa volonté d’être un pays « plus généreux et plus compatissant. » À cette fin, il devra activement appuyer nos droits reconnus par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, et non pas accélérer notre mort – surtout quand le soi-disant choix pour une mort prématurée est fondé sur la peur de la solitude, la négligence et le manque de soutien pour vivre dignement chez soi. »

De toute évidence, le préjudice le plus grave causé par le projet de loi C-7 réside dans l’extension de l’euthanasie à ceux qui ne sont pas en fin de vie. La décision Carter a précisé que toute légalisation de l’euthanasie doit comporter des mesures de sauvegarde efficaces, dont le critère de la mort raisonnablement prévisible fait partie.

En outre, le projet de loi C-7 exige seulement que les patients soient informés des alternatives réelles, autres que la mort, pour soulager leur souffrance. C’est clairement insuffisant, étant donné l’insuffisance des ressources médicales, psychologiques et sociales pour les nombreux groupes de personnes qui pourraient envisager la mort comme solution à leurs problèmes. Il est essentiel que de telles alternatives soient réellement disponibles pour tous les patients qui envisagent l’euthanasie.

Bien que les délais pour en appeler de la décision Truchon soient depuis longtemps expirés, le cabinet fédéral pourrait soumettre à la Cour suprême du Canada toute question concernant la constitutionnalité du PL C-7 en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur la Cour suprême, LRC 1985, c S-26.

Notre différend avec le projet de loi C-7 est également soutenu par une lettre ouverte au Parlement, récemment publiée, écrite par 146 avocats et étudiants en droit, exprimant de multiples préoccupations :
« Le projet de loi C-7 ne fait pas qu’étendre l’AMM ; il la redéfinit fondamentalement. Ne se limitant plus à une accélération de la mort, le projet de loi C-7 adopte l’AMM comme moyen de mettre fin à une vie autrement viable — mais uniquement la vie d’une personne atteinte d’une maladie ou d’un handicap (italiques ajoutés). »
« Le projet de loi C-7 mine notre engagement constitutionnel envers la valeur égale et inhérente de toutes les vies »

Et sur cette base, ces juristes et praticiens concluent, comme nous le faisons également, que Truchon-Gladu a été décidé de manière trop étroite, en ne considérant que le point de vue des demandeurs, et viole sérieusement « les droits garantis par la Charte de ceux qui pourraient subir un impact négatif à la suite des graves effets d’un régime d’euthanasie considérablement élargi. »

Autres questions mystérieusement regroupées dans le projet de loi C-7

Alors que la disposition relative à la fin de vie est de la plus haute importance, certains autres éléments du projet de loi C-7 n’ont rien à voir avec les exigences de l’arrêt Truchon-Gladu et leurs effets vont bien au-delà du respect de cet arrêt. Deux d’entre eux concernent l’affaiblissement des critères de protection contre l’euthanasie dans les cas où la mort naturelle est raisonnablement prévisible : Il est proposé que la période d’attente actuelle de dix jours soit supprimée pour tous les patients ; et que le nombre de témoins de la demande soit ramené de deux à un seul (qui peut également être un professionnel de la santé impliqué dans les soins du patient).

Dans une entrevue, la Dre Leonie Herx, titulaire de la chaire de médecine palliative à l’université Queen’s et l’une des auteurs de la déclaration médicale sur le projet de loi C-7, a déclaré :
« C’est très imprudent car l’équipe de soins de santé pourrait avoir un parti pris important (en faveur de l’AMM), et il existe un différentiel d’expertise entre l’équipe et le patient. La différence d’autorité ou de pouvoir existe bel et bien, et constitue une forme de coercition, qu’elle soit subtile ou manifeste… »

« Vous pourriez être diagnostiqué avec une maladie grave et mourir le même jour… Il est imprudent de faire du Canada le seul pays au monde à établir cette nouvelle norme en matière de médecine où l’on privilégie la mort aux traitements connus, existants et bien tolérés. »


Demandes anticipées et capacité de choisir

Un autre exemple d’ajouts toxiques au projet de loi C-7 concerne certaines innovations entourant l’utilisation de « demandes anticipées » pour l’euthanasie. La lettre des juristes indique ce qui suit :
« Le projet de loi C-7 élimine plusieurs protections statutaires essentielles qui aident à protéger ceux qui contemplent l’AMM contre le risque d’être euthanasiés contre leur volonté réelle.

Le projet de loi C-7 ouvre ainsi le Code criminel à permettre, pour la première fois, la possibilité d’un homicide non consensuel d’une victime innocente. »

Ce sont des accusations extraordinairement graves. Surtout quand on sait qu’une proportion importante de patients qui ont fait une demande formelle d’aide médicale à la mort retirent leur demande (151 personnes, 7,8 % des demandes au Québec en 2018-19, selon le rapport de la Commission des soins de fin de vie).


Notre position

Le Collectif des médecins contre l’euthanasie trouve étonnant que notre gouvernement fédéral se soit dérobé à sa responsabilité de faire appel de la décision Truchon-Gladu et de défendre le bien commun plutôt que des intérêts personnels étroits.

Nous trouvons impensable que le gouvernement ne se contente pas d’accommoder Truchon-Gladu, mais dépasse ses exigences dans le projet de loi C-7.

Nous rappelons avec insistance que la clientèle visée par le retrait du critère de fin de vie pour obtenir une euthanasie est massivement opposée à sa légalisation.

Et nous affirmons avec détermination que beaucoup, beaucoup de médecins restent opposés à l’euthanasie en principe, et s’opposent encore avec la plus grande véhémence, à toute expansion de l’accès à l’euthanasie.

En bref, nous demandons (idéalement) le retrait immédiat du projet de loi C-7, ou (minimalement) des amendements importants :

  1. Au lieu d’une période d’attente de 90 jours pour les personnes envisageant l’AMM qui ne sont pas en fin de vie, exiger que tous les autres moyens de soulager la souffrance soient non seulement considérés, mais rendus disponibles et essayés, non pas comme des obstacles à l’AMM, mais sincèrement, dans le but de rendre la vie vivable. Cela se fait dans d’autres juridictions qui ont une expérience beaucoup plus longue que la nôtre en matière d’euthanasie.
  2. Permettre aux médecins de se retirer complètement du chemin qui mène leurs patients à la mort par AMM. Nous ne nous opposons pas à donner des informations. Nous considérons que le fait d’orienter les patients vers un prestataire de soins de l’AMM est une collaboration pour les envoyer à la mort. Il faudrait inclure dans le code pénal que personne ne devrait être obligé de pratiquer, de collaborer ou d’aider et d’encourager l’AMM. Cette mesure protégerait avant tout les patients, en leur permettant de choisir un médecin pour qui l’AMM n’est pas une option.
  3. Rétablir la période d’attente de dix jours pour les patients en fin de vie, l’exigence de deux témoins, et l’exigence que personne ne soit euthanasié s’il ne peut pas consentir à l’acte au moment de sa mort.
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