Le 10 mai 2017, le Dr Yves Robert, Secrétaire du Collège des médecins du Québec, a posé une question intéressante dans un article réfléchi publié sur le site web du CMQ :
« Si l’objectif est l’euthanasie sur demande fondée sur un « droit », parle-t-on toujours d’aide médicale à mourir ? Ou d’aide à mourir, tout simplement ? Que viendrait alors y faire la profession médicale ? »
Si l’on considère les prises de position passées du Collège et celles du Dr Robert lui-même – « Le débat commence à peine… » (mots du Dr Robert à 18min24) – on ne peut s’empêcher de penser au roman classique Frankenstein dans lequel un génie scientifique idéaliste crée un monstre humanoïde qui menace la race humaine ; ce génie se voit ainsi confronté à la réalité de ses actes et aux responsabilités qui en découlent. À la fois tragiquement et héroïquement, il finit par se sentir obligé de poursuivre et de détruire cette créature que son imprudence a relâché dans le monde, et qu’il aime comme un père.
Cette interprétation du texte dépasse sans doute les intentions du Secrétaire. Il a toutefois énoncé une déclaration de principe très claire : si la volonté du client est l’unique critère pour se voir accorder une euthanasie, alors la sagesse de la médecine, l’art de la médecine et la science de la médecine n’ont aucun rôle à jouer.
À partir du moment où nous permettons à quiconque le désire de choisir un suicide assisté par l’État, et à n’importe quel médecin de poser ce geste, nous légitimons un choix de mort purement subjectif. Il ne reste alors aucune raison logique de restreindre l’exercice de ce droit à des personnes atteintes de telle ou telle condition médicale, ou même d’une condition médicale tout court. Quelles que soient les limites établies par la loi, il y aura toujours quelqu’un qui se sentira lésé, et l’État sera constamment forcé de justifier un régime discriminatoire (dans lequel les personnes du groupe A pourront prendre une décision subjective, tandis que celles du groupe B s’en verront empêchées).
Le Dr Robert semble croire (ou du moins semblait croire) que la protection du bien commun peut cohabiter avec la pression découlant de libertés individuelles exercées sans entraves, et qu’il est possible d’en arriver à un compromis stable entre ces deux perspectives. Mais le changement légal et moral que nous avons vécu – lorsque l’euthanasie est passée du statut criminel d’homicide au statut d’aide médicale à mourir (AMAM) – est plus qu’une « évolution » puisque ces deux gestes sont de nature différente. Il n’y a pas de compromis possible. On parle ici d’un bouleversement sismique clairement perceptible qui nous entraîne vers un paradigme médical radicalement différent, fondé uniquement sur le choix personnel subjectif. Le Collectif des médecins contre l’euthanasie, les professionnels des soins palliatifs et beaucoup d’autres citoyens s’opposent à ce changement depuis le début.
Les acteurs politiques qui ont promu le Projet de loi 52 ont soutenu qu’il s’agissait d’une « évolution, et non une révolution ». Mais il suffit de considérer le changement qui s’est opéré dans l’opinion publique, et qui alarme le Dr Robert (« ce discours paradoxal qui réclame des balises pour éviter les abus tout en demandant au médecin d’agir comme s’il n’y en avait pas »), pour comprendre qu’il s’agit bel et bien d’une révolution. Une révolution planifiée par ses auteurs, qui ont volontairement ignoré l’opposition des experts de la fin de vie.
L’encre finit à peine de sécher sur la Loi concernant les soins de vie que les enthousiastes de l’euthanasie exigent déjà d’autres concessions. Pour eux, les demandes provisoires n’ont jamais constitué une destination finale acceptable, mais seulement une étape légale sur le sentier d’une complète liberté de choix personnelle. Le Dr Robert parle de « mort à la carte ». Il commence même à spéculer publiquement sur la signification médicale d’une issue aussi extrême.
Et voici les implications logiques qu’il a maintenant l’honnêteté et la rigueur d’exposer : (1) la profession médicale n’a pas le devoir (ni la compétence) de définir un régime public de mort sur demande, ni de fournir du personnel pour un tel régime ou d’y assumer quelle que responsabilité que ce soit. (2) Peu importe la forme que prendra un changement social aussi fondamental, il ne s’agit PAS d’un problème médical. Et (3) nous ajouterions que le plus tôt nous réaliserons cela et agirons en fonction de la sagesse sous-jacente, le mieux ce sera pour nous tous.
En fait, la simple prudence nous dicterait d’agir avec retenue, dès maintenant, dans la mise en œuvre administrative du régime euthanasique. Plus la zone contaminée est limitée, plus la décontamination est facile. Les tentatives arrogantes d’imposer l’AMAM dans tous les recoins du système de santé devraient être abandonnées. Le refus des individus et des institutions de collaborer à cette pratique devrait être scrupuleusement respecté.
Le Dr Robert conclut son article avec un avertissement simple et sobre :
« Prenons le temps de bien réfléchir avant d’aller plus loin. Il n’y a pas d’urgence à mourir. »
Nous partageons entièrement son sentiment.