La dépression en phase terminale est fréquente et peu prise en charge, et les patients qui en souffrent sont de quatre à cinq fois plus nombreux à demander l’euthanasie.
C’est l’un des faits saillants d’un exposé remarquable qu’a livré tout récemment le Dr François Primeau, psychiatre et chef du service de gérontopsychiatrie au CSSS Alphonse-Desjardins, dans le cadre des téléconférences de l’Association des médecins psychiatres du Québec. Nous vous invitons à écouter cette téléconférence, que nous rendons accessible ici avec l’autorisation du Dr Primeau et de l’AMPQ.
Écouter la conférence (MP3 – 38MB)
Comme psychiatre, Dr Primeau y souligne que la dépression touche de 20 à 50% des patients en phase terminale et que seulement 3% d’entre eux sont traités pour ce trouble. Il cite aussi des données selon lesquelles 44% des patients en soins palliatifs demandent la mort, mais la moitié d’entre eux changent d’idée à l’intérieur de deux semaines. Des chiffres particulièrement troublants, poursuit-il, quand on pense qu’aux Pays-Bas, les demandes d’euthanasie acceptées mènent à la mort en moins de deux semaines. Outre le problème des dépressions non traitées, Dr Primeau rappelle le fait bien établi que seulement 30% des patients en fin de vie ont actuellement accès aux soins palliatifs, essentiels à leur confort physique et psychique.
Ces données l’inquiètent d’autant plus que le dernier budget provincial prévoyait des compressions de 400 millions dans les services de santé, alors que l’Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux avait fait valoir la nécessité d’une injection de 1,2 milliards pour seulement maintenir les services actuels dans le contexte du vieillissement de la population.
«Est-ce que l’euthanasie pourrait devenir le régulateur démographique du fardeau économique à venir?» demande-t-il en faisant valoir qu’en 2010, la commission de planification économique de l’Australie a évoqué l’euthanasie à titre de mesure de contrôle des coûts en santé, qui sont également en pleine croissance en raison des changements démographiques.
Voici d’autres faits et points présentés par le conférencier:
- La loi canadienne commande un accès universel aux soins de santé. Si l’euthanasie est légalisée en tant que «soin», il sera très difficile de maintenir des balises, car ces dernières pourront être considérées discriminatoires. Par exemple, aux Pays-Bas, la dépression majeure est acceptée depuis 1994 comme un critère d’admissibilité à l’euthanasie à la suite d’un cas de demande de ce type. Le projet de loi 52 ouvre déjà la voie à ce scénario en considérant la souffrance «psychique» comme un critère d’admissibilité.
- Le supposé «consensus» au Québec sur la légalisation de l’euthanasie est trompeur: 59% des mémoires et interventions à la commission consultative itinérante étaient des prises de position contre l’euthanasie contre 35% en sa faveur. Quant aux sondages, ils démontrent une grande confusion sur le sujet. Seulement 33% des répondants à un sondage Ipsos Reid mené en septembre 2013 comprenaient que le terme «aide médicale à mourir» signifie l’injection d’une substance létale à un patient, 29% croyant que l’on désigne par là les soins palliatifs et 22%, la cessation de l’acharnement thérapeutique. Le sondage mené auprès des médecins spécialistes en août 2010 donnait 75% de médecins favorables, mais les réponses montrent aussi que 48% des répondants confondaient sédation palliative et euthanasie.
- À l’échelle mondiale, l’euthanasie demeure une pratique marginale: elle est légale seulement dans trois pays représentant 0,45% de la population mondiale, soit les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, ainsi que dans deux États américains, l’Oregon et l’État de Washington. L’Association médicale mondiale, qui regroupe 9 millions de médecins dans 106 pays, s’est prononcée contre l’euthanasie en 2013.
- Pour Dr Primeau, les dérives ne sont pas une hypothèse mais des faits qui surviennent. Aux Pays-Bas, les statistiques montrent une augmentation de 117% des cas d’euthanasie entre 2006 et 2012, faisant passer leur nombre d’un peu plus de 1900 à environ 4000. En 2013, 45 patients souffrant de pathologies psychiatriques y ont été euthanasiés. La dépression majeure est un critère d’admissibilité depuis 1994. L’euthanasie des enfants y est permise. Et 23 % des euthanasies ne seraient pas rapportées. L’ONU s’est élevé contre le nombre élevé d’euthanasies aux Pays-Bas, s’inquiétant de la «toute-puissance» des médecins, souverains quant au pronostic, à l’admissibilité à l’euthanasie et à son exécution.
La conférence a été suivie d’une période de questions et d’échanges intéressants avec d’autres médecins.