Les droits de conscience des médecins et la décision de la Cour d’appel de l’Ontario

Chaque médecin est nécessaire

Le 15 mai 2019, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision d’un tribunal inférieur exigeant des médecins dissidents qu’ils effectuent des « aiguillages efficaces » pour euthanasie (l’aide médicale à mourir), comme le prescrit le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario (College of Physicians and Surgeons of Ontario, CPSO).  

Cette décision nous paraît non seulement erronée, mais de plus fondée sur des hypothèses d’une part non factuelles et d’autre part contraires aux besoins des patients et à l’opinion des médecins les plus conscients des besoins des patients en phase terminale. Dans une récente mise à jour de sa messagerie, la Société canadienne des médecins de soins palliatifs (SCMSP) déclare notamment qu’il ne devrait pas appartenir au seul médecin de faire un AEE, mais qu’on devrait y affecter un service d’information distinct et accessible au public, et par ailleurs qu’il faut bien sûr respecter la liberté de choix des médecins dissidents.

Dans son jugement, la Cour a ainsi qualifié la politique du CPSO  : [traduction] « [Les politiques] réalisent un équilibre raisonnable entre l’intérêt des patients et la liberté religieuse, protégée par la Charte, des médecins. »

Cette appréciation repose sur une fausse hypothèse, à savoir que les « droits » des médecins dissidents posent une menace à « l’intérêt » des patients. Nous estimons pour notre part que le motif qui pousse ces médecins à exercer leurs droits garantis par la Charte est précisément la protection de l’intérêt de leurs patients.

Suite à cette décision, la Dre Nancy Whitmore, registraire et chef de la direction du CPSO , a parlé d’« assurer aux patients l’accès aux soins dont ils ont besoin ». Répétons-le, nous estimons que l’euthanasie n’est pas un soin médical, et que si l’on prodiguait aux patients les soins dont ils ont besoin, la demande d’euthanasie serait presque nulle.

Surtout, il a été peu tenu compte d’un fait essentiel dans ce débat : la grande majorité des patients ne veulent pas mourir, ne demandent pas l’euthanasie et la refusent lorsqu’elle leur est proposée.

Autrement dit, l’impression donnée que les médecins opposants, remplis de préjugés personnels étroits, sont en quelque sorte en conflit avec « l’intérêt » de leurs propres patients est, pour la majorité des patients, manifestement fausse. Bien au contraire, ces médecins défendent publiquement, à grands frais personnels, le type de soins souhaité par la majorité des patients.

Il est évident que nous avons devant nous deux clientèles distinctes nécessitant deux services distincts, et que leur différence numérique est grande. Aux Pays-Bas, par exemple, où l’euthanasie est fortement préconisée aux patients depuis près de vingt ans, seuls 13 % des patients cancéreux consentent à mourir de la sorte. La question s’impose donc : quelle acceptation des conséquences sommes-nous prêts à exiger des 87 % qui s’y refusent?

À cet égard, la SCMSP précitée soutient que l’euthanasie est un service « distinct des soins palliatifs » et que « le public canadien doit ne pas douter que les soins palliatifs ont encore pour principe… d’aider les gens à vivre aussi bien que possible jusqu’à leur mort naturelle ». Une critique est formulée à l’égard du prétendu « devoir d’informer », mis en avant par des activistes de l’euthanasie, qui obligerait les médecins à informer systématiquement les patients gravement malades de leur « droit à mourir ». La SCMSP fait observer à juste titre que cela « … risque d’exercer une pression indue, ou une contrainte subtile ou ouverte, sur les patients », c’est-à-dire qu’il s’agit en réalité d’imposer l’offre d’un suicide universel à ce groupe vulnérable.

Les fervents de l’euthanasie font souvent valoir leur opinion en ces termes : « C’est légal; nos impôts la payent; nous avons le droit d’en jouir ». Nous répondons cependant que l’on peut en dire tout autant des soins axés sur la vie souhaités par la majorité, laquelle doit pouvoir bénéficier de soins médicaux sachant que le médecin qui leur est assigné au hasard « ne donnera à personne une drogue mortelle… ni ne conseillera aux autres de le faire » (Hippocrate), c’est-à-dire que les patients pourront se sentir en sécurité.

C’est là le problème fondamental de l’évolution de l’application de l’euthanasie au Canada : l’industrie tout entière est en cours de remaniement pour la seule satisfaction d’une petite minorité, au grave détriment d’une proportion beaucoup plus considérable de patients qui ne sont pas suicidaires. Ou, comme on l’a fait observer (Le Devoir, juillet 2016) : « …un citoyen a droit à un environnement sans fumée, mais pas à un environnement sans euthanasie… »

Rappelons que les procès qui ont mené à la légalisation de l’euthanasie portaient uniquement sur sa décriminalisation. Il a été conclu, sans plus, qu’il était loisible à un médecin consentant d’euthanasier un patient dans certaines circonstances, sans encourir l’incarcération. Nul n’a jamais dit que la société dans son ensemble, ou la profession médicale (et moins encore le médecin à titre individuel), serait jamais responsable de fournir un tel « service ».

De façon plus générale, les soins de santé doivent s’adapter aux exigences concurrentes de différentes clientèles recherchant des résultats différents. Il existe ainsi des systèmes de prestation spécialisés et des installations générales où la procédure implicite favorise logiquement la majorité, assurant un accès raisonnable aux minorités sans pour autant réduire la qualité et la disponibilité du service majoritaire.

Dans le cas qui nous occupe, nous estimons que la simple légalité de l’euthanasie, alliée à la libre diffusion de l’information touchant la disponibilité de ces services, devrait parfaitement répondre aux besoins des minorités. Le financement public de cette information (sans parler du financement de la procédure elle-même) serait un autre geste de bonne volonté non obligatoire.

Par ailleurs, examinons la nouvelle norme de soins exigée par le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario et confirmée par la Cour d’appel : cette norme fera en sorte que les patients vivront à juste titre dans la crainte d’être traités par des médecins qui se feraient un plaisir de les euthanasier; qui les informent inlassablement (et même avec insistance) de leur « droit à la mort »; et qui ne font qu’attendre le consentement voulu pour y procéder. N’est-ce pas là un paradigme d’une injustice criante pour la majorité non suicidaire?

Mais on n’en est pas encore au bout, car des règlements onéreux, contraignant des médecins à faire ce à quoi leur conscience ne peut consentir, les forceront fatalement à renoncer à leur pratique ou à quitter le pays. Nous voulons savoir comment la satisfaction d’un besoin minoritaire peut le moindrement justifier l’élimination de médecins dont la majorité des patients éprouve un besoin urgent. À l’heure actuelle, il y a déjà pénurie de médecins – et pourtant, nous allons expulser certains de nos meilleurs éléments pour des motifs d’impureté idéologique! Une telle idée dépasse largement la notion d’« absurde ».

Soyons clairs :

  • Le droit de conscience des médecins à titre individuel ne porte pas atteinte à l’intérêt des patients (globalement, la conscience des médecins a toujours servi de garantie à long terme de cet intérêt).
  • Le refus des médecins de collaborer individuellement à l’euthanasie n’entrave pas sensiblement l’accès à ce service (l’offre est dynamique en elle-même et croît avec la demande).
  • Il n’est pas logique de remanier le réseau des soins de santé tout entier pour satisfaire à une minorité lorsque cette transformation détruit l’infrastructure conçue en vue d’un objectif différent (et quantitativement plus grand).
  • S’il existe deux clientèles distinctes ayant deux modèles de traitement distincts, il faut permettre à deux volets parallèles d’évoluer indépendamment.

Et surtout, ce dont nous ne voulons en aucun cas est le départ de professionnels qui sont idéalement faits pour servir.

Rendons l’euthanasie inimaginable.

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente

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