Plus besoin d’être mourant pour que votre médecin mette fin à votre vie
Alors que le Canada et le monde ont peur de mourir de la pandémie de la COVID-19, nous voyons jusqu’où les autorités peuvent, et doivent, aller pour prévenir la mort et protéger le bien commun. Nous considérons comme normale et nécessaire la restriction de certaines libertés individuelles dans le but de protéger les citoyens et citoyennes contre la propagation de la maladie. Ainsi, il nous est rappelé que l’exercice de l’autonomie personnelle, loin d’être la valeur suprême dans la société, doit être limité quand il peut causer du tort aux autres.
Ces observations sont parfaitement pertinentes au sujet d’un autre grand débat social, alors qu’une nouvelle menace à la vie des malades, des personnes handicapées et des Canadiennes et Canadiens âgés passe presque inaperçue. Plusieurs Canadiens et Canadiennes ne sont même pas au courant du projet de loi C-7, qui a été redéposé le 5 octobre au Parlement fédéral. Ce projet de loi, qui élargit l’« aide médicale à mourir » (AMM) pour inclure pratiquement tous ceux et celles qui sont malades et qui souffrent au Canada, s’il est adopté dans sa forme actuelle, fera de notre pays le leader du monde dans l’administration de la mort.
En tant que médecins, nous sommes obligés d’exprimer notre stupéfaction en voyant comment des personnes, qui ont peu d’expérience vécue des réalités en jeu dans la pratique quotidienne de la médecine, ont subitement et fondamentalement changé la nature de la médecine en décriminalisant l’euthanasie et le suicide assisté.
La médecine, considérée à travers les siècles comme une profession qui ne cause jamais de tort intentionnel, mais plutôt guérit, réconforte et défend la vie de ceux et celles qui sont malades et vulnérables, serait transformée en une entreprise technocratique qui permettrait aux médecins de mettre fin délibérément à la vie de leurs patients et patientes qui souffrent. La participation forcée pour arranger et faciliter l’administration de l’euthanasie et du suicide assisté est maintenant exigée par certains organismes de réglementation.
Malheureusement, nos patientes et patients sont ceux qui souffrent le plus des conséquences de ce plan malavisé. Le choc d’une maladie soudaine, ou d’un accident entraînant une invalidité, peut inspirer aux patients et patientes des sentiments de colère et de dépression, et ils peuvent se sentir coupables d’avoir besoin de soins; mais ces émotions, avec le soutien et l’attention nécessaires, peuvent se dissiper avec le temps. Le soin et l’encouragement offerts par les médecins peuvent être le facteur le plus puissant pour surmonter le désespoir et ranimer l’espérance.
Malheureusement, les patients et patientes ne peuvent plus avoir une confiance inconditionnelle en leur professionnel de la médecine pour défendre leur vie quand ils sont à leur état le plus faible et le plus vulnérable. Subitement, une injection
mortelle fait partie du répertoire des interventions offertes pour mettre fin à leurs douleurs et à leurs souffrances.
Le projet de loi C-7 permettrait à ceux et celles qui ne sont pas mourants de mettre fin à leur vie par injection mortelle administrée par un médecin ou une infirmière praticienne. Il est scandaleux que la plupart des protections que le Parlement avait estimées nécessaires en 2016 pour protéger les personnes vulnérables contre une mort injustifiée soient en voie d’être supprimées. En vertu du nouveau projet de loi, une personne dont la mort naturelle est considérée comme « raisonnablement prévisible » pourrait être diagnostiquée, évaluée et euthanasiée en une seule journée. Nous sommes très inquiets que la suppression de la période de réflexion de 10 jours et d’autres mesures de protection ne fassent qu’augmenter le nombre de morts par contrainte ou par manque de réflexion adéquate.
La suppression imprudente des mesures de protection précédemment jugées essentielles mettra les patients et patientes vulnérables directement en danger, et pourrait même leur coûter la vie.
Bien que les auteurs du projet de loi C-7 estiment suffisant d’offrir aux patients et patientes de l’information sur les autres moyens possibles d’atténuer leurs souffrances, il n’est pas obligatoire que le service leur soit accessible. Nous vivons dans un pays où le délai d’attente dans certaines régions pour voir un psychiatre est de 4 à 8 fois plus long que la période de réflexion de 90 jours proposée dans le projet de loi pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas considérée comme « raisonnablement prévisible », et où 70 % des citoyens et citoyennes dont la vie tire à sa fin n’ont toujours pas accès à des services de base en soins palliatifs. Pourtant, l’AMM est considérée comme un service essentiel aux termes de la Loi canadienne de la santé, alors que les soins palliatifs ne le sont pas. Ce projet de loi crée les conditions requises pour une mort facile et à bon marché par euthanasie ou suicide assisté.
Ce n’est pas le genre de médecine que nous avons consacré notre vie à pratiquer. Notre intention est de guérir et de diminuer les souffrances, pas de mettre fin délibérément à la vie. Nous luttons pour la vie de nos patients et patientes, pas pour leur mort. Nous croyons à l’obtention de soutiens adéquats pour tous nos patients et patientes, afin qu’ils aient les services de base nécessaires pour vivre; nous ne sanctionnons pas et ne facilitons pas leur mort comme solution de leurs souffrances.
Notre profession a été forcée de faciliter le suicide au lieu de le prévenir, et ce, pour un nombre toujours croissant de personnes. Nous observons avec consternation et horreur la façon dont la nature de notre profession médicale a été si rapidement détruite par la création de lois malavisées.
Nous, soussignés, déclarons que l’adoption du projet de loi C-7, si rien n’est fait, contribuera à la destruction de bien plus que notre profession médicale, mais fondamentalement, d’une société canadienne qui apprécie véritablement et qui prend soin de ses membres les plus vulnérables. Les Canadiens et Canadiennes méritent mieux.
Les Auteurs:
Ramona Coelho, MDCM, CCFP
Family Physician
London, Ontario
Catherine Ferrier, MD, CCFP (COE), FCFP
Family physician
Division of Geriatric Medicine, McGill University Health Centre
Assistant Professor of Family Medicine, McGill University
Montreal, Quebec
Sheila Rutledge Harding, MD, MA, FRCPC
Hematologist, Saskatchewan Health Authority
Professor, College of Medicine,
University of Saskatchewan
Saskatoon, Saskatchewan
Dr. Leonie Herx MD PhD CCFP (PC) FCFP
Associate Professor & Chair, Division of Palliative Medicine
Department of Medicine, Queen’s University
Kingston, Ontario
Dr. Timothy Lau MD MSc FRCPC
Associate Professor, Division of Geriatric Psychiatry,
Department of Psychiatry, University of Ottawa
Ottawa, Ontario
Sephora Tang, MD FRCPC
Staff Psychiatrist, Clinical Lecturer
Department of Psychiatry, University of Ottawa
Ottawa, Ontario
Lucas Vivas, MD MHSc FRCPC
General Internal Medicine
Brampton, Ontario