Dr Louis Morissette, psychiatre, répond à un éditorial de Paul Journet publié dans La Presse du 17 juin. Il exprime son désaccord avec l’éditorialiste sur l’improbabilité de dérapages dans le contexte légal établi par la loi 52.
Monsieur Paul Journet
Éditorialiste
Journal La Presse
Monsieur,
Dans votre éditorial publié mardi le 17 juin 2014, vous discutiez de la loi permettant l’aide médicale à mourir.
Dans votre dernière phrase, vous affirmiez, avec raison, qu’il s’agit d’un nouveau droit qui est limité à certaines personnes : majeures, aptes et en fin de vie.
Vous dites être d’avis qu’il est très peu probable, sinon improbable qu’il y ait des dérapages puisque, selon vous, la loi est suffisamment bien écrite pour les éviter.
Permettez-moi d’être en désaccord avec ce que vous écrivez à ce sujet.
Vous écrivez qu’en Belgique, l’euthanasie de jumeaux sourds et d’un travesti a eu lieu car ces individus avaient profité d’une exception de la loi belge, exception qui, selon vous, n’existera pas au Québec. A ma connaissance, et à la lecture des lois belge et québécoise, il ne me semble pas que ces individus aient bénéficié ou profité d’une exception de la loi belge, la loi ayant été appliquée telle qu’écrite en Belgique. Il faut souligner que tant en Belgique qu’au Québec, il n’y a pas de définition de fin de vie et strictement parlant, la fin de vie débute dès le premier jour de la vie. La question de souffrance psychique et physique est subjective et c’est dans ce contexte que les jumeaux sourds et le travesti ont été euthanasiés. Dans les états de Washington et de l’Oregon, la fin de vie a été définie (grande probabilité que la mort surviendra à cause de la maladie dans les prochains six mois).
Vous discutez aussi des pressions que les proches pourraient exercer ou même le système médical sur les patients. Pour avoir côtoyé des familles et des patients en fin de vie (qui allaient mourir dans les prochaines semaines ou les prochains mois), il est clair que ces patients se sentent à un moment ou à l’autre, un fardeau pour les autres. Vous écrivez que pour éviter de telles dérives, la loi exige que deux médecins vérifient que le malade a donné son consentement de façon libre et éclairée et sans pression extérieure. Vous omettez d’écrire que la loi ne décrit pas l’intervalle de temps qui doit se dérouler entre les deux demandes. Encore une fois, dans les états américains et à d’autres endroits dans le monde, l’intervalle entre les deux demandes est bien décrit (souvent 15 jours). Ainsi, au Québec, les deux demandes pourraient être évaluées dans la même journée et qu’arrive-t-il si cette journée est une journée très difficile pour le patient, les doses d’analgésiques ou autres médicaments n’ayant pas été ajustés suffisamment alors que l’on sait que les demandes pour mourir surviennent lorsque le patient est en grande souffrance physique et psychologique.
Plus loin, vous écrivez que les fédérations des médecins spécialistes et des médecins omnipraticiens ont été insultés lorsque certains ont insinué que des médecins pourraient vouloir se débarrasser de cas lourds pour des raisons de temps ou d’argent. A mon avis, étant médecin depuis plus de 30 ans, la question est beaucoup plus subtile et insidieuse et elle doit se poser façon différente en tenant compte du patient qui peut se sentir devenir un fardeau ou être de trop ou se sentir inconfortable avec les coûts que les soins qu’il requiert nécessitent.
L’euthanasie se déroulera en milieu hospitalier ou dans des centres de soins et, par exemple, si on y retrouve deux lits dédiés à ce service et que l’on compare l’efficacité de ce service (nombre de patients desservis, coût par patient, etc.) au coût de six lits de soins palliatifs, la comparaison sera clairement en faveur, en termes d’efficacité et d’efficience, des deux lits devant servir à l’euthanasie. Il y aura davantage de patients desservis, chaque patient coûtera moins cher, etc. Il m’apparaît donc irréaliste que les soins palliatifs soient réellement encouragés et financées à la hauteur des besoins lorsqu’une option beaucoup moins dispendieuse sera disponible.
Enfin, vous faites le lien avec le fait que depuis le début des années 1990 (Nancy B.) il est clairement reconnu qu’un patient peut faire le choix de cesser un traitement qui, très probablement, le maintient en vie (Nancy B. est décédée plusieurs jours après l’arrêt du respirateur). La question de l’euthanasie n’est pas du tout à ce niveau, il ne s’agit pas d’arrêter un traitement mais bien de demander que le médecin nous fasse mourir, le Québec étant le seul endroit au monde où l’acte d’enlever la vie devient un soin. Ailleurs, les autorités ont eu l’élégance et l’honnêteté de simplement affirmer que si certaines conditions étaient remplies, il n’y aurait pas d’accusations criminelles.
Aussi, vous semblez convaincu qu’il n’y aura pas de dérapages à l’avenir avec l’aide médicale à mourir car le gouvernement créera un organisme de surveillance, la Commission sur les soins en fin de vie. Vous savez très probablement que cette commission mise en place en Belgique il y a plus de 10 ans n’a fait aucun reproche et n’a remis en question aucune des euthanasies pratiquées même si, clairement, plusieurs cas étaient questionnables (consentement, maladie chronique avec souffrances psychologiques et/ou physiques, etc. En Belgique, tous les membres actifs de cette commission ont clairement exprimé, sans ambiguïté, qu’ils étaient favorables à la pratique de l’euthanasie. Au Québec, il faudra donc attendre la nomination des membres de la commission avant de décréter que cet organisme de surveillance sera le chien de garde attendu.
Aussi, vous omettez de souligner qu’en Belgique, après 12 ans de pratique de l’euthanasie, cette mesure est maintenant disponible aux enfants et aux adolescents.
Merci d’avoir pris le temps de me lire,
Louis Morissette, M.D. F.R.C.P.
Médecin-Psychiatre