Le docteur Balfour Mount, l’un des premiers signataires du Manifeste du Collectif des médecins contre l’euthanasie, a accordé une entrevue à Justina Reichel du journal Epoch Times. Publié dans l’édition du 12 février, son article, intitulé « Father of Palliative Care Slams Quebec Euthanasia Bill » vaut vraiment la peine d’être lu. Nous le reproduisons ici avec la permission du Dr Mount et de Mme Reichel.
Justina Reichel : L’œuvre de votre vie a été la promotion des soins palliatifs au Canada. Avez-vous déjà pensé que « l’aide médicale à mourir » serait un jour légale dans ce pays? Quelles sont vos pensées à l’idée que cela pourrait se produire avec le Projet de loi 52?
Balfour Mount : J’avais reconnu le risque, et c’est pour cela que j’avais demandé à Dame Cicely Saunders, fondatrice du mouvement moderne des hospices, de parler de l’euthanasie et du suicide assisté au congrès international de McGill en 1982. Et puis, en 1994, j’ai moi-même publié un article à ce sujet : « Quand les soins palliatifs ne peuvent pas contrôler la souffrance » (en anglais). Cet article décrit mon expérience avec un homme qui vivait des angoisses existentielles dues à une tumeur incurable du cerveau, ainsi que le rôle de la sédation palliative dans ses soins (Journal of Palliative Care 1994, vol. 10, pages 24-26).
J’ai un profond problème avec l’expression manipulatrice « aide médicale à mourir » quand on l’utilise pour faire référence à la légalisation de l’euthanasie. La mort médicalement assistée a été la préoccupation de ma carrière depuis 40 ans. Cela n’a aucun rapport avec tuer le patient intentionnellement. L’objectif est plutôt la qualité de la vie. Il est révélateur que les soins palliatifs soient mentionnés 33 fois dans le Projet de loi 52, alors qu’il n’y a aucune mention de l’euthanasie (qui est le but du Projet de loi).
JR : Vous avez l’expérience des lits d’hôpital, d’abord en tant que médecin , mais aussi en tant que patient. Et vous avez affirmé que vos problèmes de santé étaient une « bénédiction ». Pourriez-vous expliquer en quoi vous les considérez comme une bénédiction?
BM : Ce ne sont pas toutes les bénédictions qui sont les bienvenues. Ce sont souvent les périodes difficiles de la vie qui mènent à la plus grande croissance : réconciliation avec soi et les autres, et découvertes inattendues. Je suggère à ceux qui en doutent de lire le livre de Viktor Frankl : « Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie ». Il m’a dit l’avoir écrit en huit jours après avoir été relâché du camp d’Auschwitz. Quand je m’apitoie sur mon sort, je pense à Frankl. Son chemin a été plus dur que le mien!
JR : Comment la maladie a-t-elle influencé votre point de vue sur les soins palliatifs et l’euthanasie?
BM : Avoir le cancer a contribué à raffiner ces questions et à préciser pourquoi le fait de donner la mort intentionnellement n’a jamais été considéré comme un acte médical. Il y a 2400 ans, quand il n’était pas vraiment possible d’apaiser la douleur, Hippocrate intimait que le fait de mettre intentionnellement un terme à la vie d’un patient ne devait jamais être considéré comme une compétence médicale. Depuis lors, cela fait partie du serment que prête le médecin. Demandons-nous donc pourquoi cette question devient si urgente à l’heure actuelle, alors que nous pouvons tant faire [pour contrôler la douleur]. Révélateur!
JR : Y a-t-il eu un moment au cours de votre maladie où vous avez voulu mourir plutôt que de continuer à souffrir ou à chercher un traitement? Si oui, comment l’avez-vous surmonté? Quels conseils donneriez-vous aux patients qui en sont à ce niveau de désespoir?
BM : Je dois dormir assis depuis 14 ans parce que le contenu de mon intestin se déverse dans mes poumons si je m’allonge. Après mon œsophagectomie, et plus tard ma trachéostomie, lorsque j’ai été de retour à la maison, toujours très faible, j’ai dit à ma femme Linda que si la situation ne s’améliorait pas, je ne voudrais pas vivre bien plus longtemps. Mais, même à ce moment-là — et surtout à ce moment-là, je ne me faisais pas d’illusion : les défis que j’avais à relever ne me justifiais pas de mettre mes concitoyens à risque; parce que l’euthanasie met toujours les plus vulnérables d’entre nous à risque. En fin de compte, les années écoulées depuis ont été les années les plus riches de ma vie.
L’allègement de la souffrance nécessitait, comme toujours, de revenir à la case de départ et d’identifier chaque facteur qui ajoutait à ma souffrance; avec l’aide de mes soignants, il fallait développer des stratégies pour m’aider à passer à travers cette période.
Mon conseil à ceux qui connaissent une souffrance profonde serait d’aller chercher l’aide d’une équipe spécialisée en soins palliatifs. Leur réaction sera de s’asseoir avec vous et vos proches pour examiner les facteurs qui contribuent à votre souffrance. Les membres de l’équipe de soins palliatifs vous accompagneront, et vous trouverez ensemble, au fur et à mesure, les solutions aux problèmes.
Voilà 40 ans que nous prouvons à l’Hôpital Royal Victoria de McGill que les soins palliatifs fonctionnent. Cela est-il offert dans votre région? Sinon, pourquoi pas? Vous avez le droit de poser cette question et de recevoir les meilleurs soins palliatifs partout au Canada!
Balfour Mount, OC, OQ, MD, FRCSC, LLDProfesseur émerite de médecine,
Université McGill