Nous sommes encouragés de voir que pour la seconde fois, le Collège des Médecins du Québec exprime une opinion plus nuancée et critique de l’approche à l’euthanasie.

En mai 2017, le docteur Yves Robert, secrétaire du Collège, exprimé son inquiétude au sujet de l’élargissement des critères de qualifications, qui ferait que l’euthanasie ne serait plus une exception rare, mais pourrait devenir « la mort à la carte ».

Plus récemment, dans une lettre datée du 29 mai 2018, le docteur Charles Bernard, président du Collège, déplore la négligence envers les soins palliatifs, pourtant une priorité reconnue par le ministre, en soins de fin de vie au Québec; les investissement budgétaires ont plutôt favorisé l’accès à l’euthanasie au détriment du développement des soins palliatifs dans la province. Le Collège a ainsi rendu un grand service aux médecins comme aux patients, en confrontant le ministre Gaétan Barrette avec la contradiction flagrante entre sa prétendue politique pour les soins de fin de vie et son application.

Il n’y a aucun doute que, médecins et patients au Canada, ont en majorité une préférence naturelle pour

de vrais soins de fin de vie, non mortels, dans la tradition hippocratique, tels que l’expertise des soins palliatifs peut l’offrir actuellement. Même ceux qui justifient l’euthanasie en théorie, voient que les soins palliatifs sont l’option première qui devrait être offerte à tous, avant même d’envisager l’euthanasie.

Le docteur Bernard souligne ces points :

« …des abandons et une absence de relève médicale dans plusieurs milieux de soins palliatifs pouvant compromettre l’accès à de tels soins ».

«  Même dans les régions les mieux dotées en la matière, des patients (…) font face à l’incapacité du réseau de les leur fournir (coordination des soins inefficiente, critères d’admission inappropriés, etc.) »

«  …des patients, à défaut de bénéficier de ces soins, pourraient n’avoir eu d’autre choix que de demander une aide médicale à mourir pour finir leurs jours « dans la dignité », ce qui nous préoccupe. »

Et encore :

«  Il a été signalé au Collège que les patients qui demandaient une aide médicale à mourir devenaient prioritaires quant aux ressources disponibles (en matières d’évaluation médicale, psychosociale, d’accompagnement spirituel, etc.) …au détriment des autres patients en fin de vie ayant des besoins similaires. »

Et au sujet de la recherche et de l’évaluation :

« …le plan de développement (des soins palliatifs) ne saurait atteindre ses objectifs… Force est de constater que ce volet de recherche est actuellement très peu financé… » « l’investissement est timide…par rapport à l’accroissement inévitable des besoins… ».

«  La Commission sur les soins de fin de vie a le mandat, confié par la Loi concernant les soins de fin de vie, de « soumettre au ministre, tous les cinq ans, un rapport sur la situation des soins de fin de vie au Québec ». La commission « aura de la difficulté à brosser un portrait des soins palliatifs actuels, étant débordée par la seule évaluation de toutes les déclarations d’aide médicale à mourir qui se font au Québec. »

Autrement dit, contrairement aux buts déclarés du ministre Barrette dans sa politique envers les soins de fin de vie, les soins palliatifs ne sont pas en expansion. Des professionnels quittent ce milieu de travail; les patients n’ont pas plus, peut-être moins, d’accès aux soins palliatifs; des patients ont choisi l’euthanasie en désespoir de cause, faute de soins appropriés; des ressources de toutes sortes sont allouées en priorité aux patients demandant l’euthanasie. Et ces faits honteux sont largement ignorés, parce que la Commission est débordée par la collecte de données sur l’aide médicale à mourir.

Le problème concerne l’implémentation- ou plutôt l’absence d’implémentation- du Plan de Développement du Ministère, de 2015 à 2020, pour les soins palliatifs et de fin de vie :

Certains points de ce Plan avaient une certaine signification avant que la Loi concernant les soins de fin de vie

soit adoptée en 2015, mais peuvent être compris autrement maintenant. Il y est question du « patient comme partenaire » qui « reconnaissant l’expertise des membres de l’équipe soignante, les oriente vers ses propres besoins et projets de vie. ». Considérons aussi : «  une approche collaborative, « autour des projets de vie évolutifs du patient »; «  en continuité et fluidité », dans un « continuum de soins ».

Dans le contexte actuel, ceci peut conduire à la disparition des soins palliatifs, si le patient orchestre lui-même sa mort et que le continuum comprend l’euthanasie.

Si l’euthanasie s’administre dans les mêmes lieux que la médecine traditionnelle, comment les patients peuvent-ils faire confiance que leur médecin ne les tuera pas, ou ne les incitera pas subtilement à demander l’euthanasie?

Le bris de confiance est inévitable lorsque les soins palliatifs et l’euthanasie sont confrontés à cohabiter dans un « continuum » impossible.

Comment peuvent collaborer des médecins qui pratiquent l’euthanasie et ceux qui s’y opposent?

On ne peut nier que le « projet de vie » du patient dépend de la façon dont l’information et les conseils lui sont donnés. Le sort de chaque patient est-il une pure chance, de même que la victime d’un accident est assignée à telle équipe chirurgicale, sera-t-il assigné à un médecin pro ou contre l’euthanasie?

L’euthanasie et les soins palliatifs sont des réalités irréconciliables : elles exigent toutes deux que les professionnels qui les exercent en soient convaincus. Les personnes ne sont pas des robots; ces deux approches sont non seulement différentes mais en compétition, et les soins palliatifs doivent être protégés de l’euthanasie pour pouvoir se développer.

Les médecins de famille quittent les soins palliatifs pour deux raisons essentielles : la Loi 20, qui exige d’inscrire un certain nombre de patients en soins de première ligne dans une clinique, sous peine de sanctions économiques; et le malaise de devoir incorporer l’euthanasie dans les soins palliatifs.

Ceux qui quittent pour cette dernière raison risquent d’être remplacés par des collègues plus conformistes, et nous pourrions avoir de plus en plus de médecins qui font des soins palliatifs sans conviction, bien disposés à dispenser l’aide médicale à mourir selon le « projet de vie » des patients.

Nous le répétons, l’euthanasie et les soins palliatifs doivent se faire dans des lieux et des institutions séparés.

À court terme, les médecins ne doivent pas être pénalisés pour leur pratique des soins palliatifs, exclusive ou jumelée à leur pratique de soins primaires. Ces soins sont un besoin pressant et aucune idéologie ne devrait contraindre les médecins à abandonner les vrais soins de fin de vie.

Retenons le coeur de la lettre du docteur Bernard au ministre Barrette :

«  Les soins de fin de vie ne peuvent se limiter à l’accès à l’aide médicale à mourir. Cette option ultime n’a de véritable  sens, du point de vue médical, que si elle s’inscrit dans une offre robuste et complète de soins palliatifs au Québec. »

À tout le moins.

Rendons l’euthanasie impensable.

Sincèrement,

Catherine Ferrier
Présidente

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