Élections 2022 et l’AMM par demande anticipée
Le projet de loi dont aucun parti ne veut parler
Difficile de prévoir les premiers gestes que posera le gouvernement qui sera élu le 3 octobre prochain. Nous savons toutefois que la plupart des partis ont promis de présenter dès que possible une nouvelle mouture du projet de loi 38 sur l’aide médicale à mourir – projet mort au feuilleton avant le déclenchement des élections.
Étonnamment, ce projet de loi à l’immense portée ne fait pas du tout partie des discussions de la présente campagne. Le projet de loi ferait l’objet d’un tel consensus qu’il serait normal de ne pas en débattre. Vraiment!
Oui, la mesure phare du projet de loi, l’AMM par demande anticipée pour des personnes rendues inaptes, recommandée par la Commission spéciale sur la Loi concernant les soins de fin de vie, semble très populaire dans la population du Québec.
Qui ne craint pas la perte d’autonomie liée aux stades avancés de maladies neurodégénératives telles que l’Alzheimer?
On a pu le constater lors des débats entre les membres de la commission parlementaire étudiant le défunt projet de loi 38 et l’application d’une telle idée entraîne une série d’enjeux éthiques majeurs. L’appui populaire perdrait sans doute des plumes si ces enjeux étaient clairement exposés aux citoyens.
À titre d’exemple, pensons au défi d’administrer la mort lorsqu’un patient présente des symptômes de démence heureuse. Quel que soit le stade de sa maladie, s’il résiste ou refuse, on ne procèdera pas à l’AMM. Combien de fois recommencera-t-on? Cela reste à discuter. Rappelons-nous qu’il est bien difficile de définir ce que le patient inapte pourrait refuser si l’équipe soignante ne lui annonce pas ce qu’elle s’apprête à faire, avec l’usage éventuel d’un sédatif. Comme dans le désormais tristement célèbre cas aux Pays-Bas de la personne atteinte de démence qui a été euthanasiée contre son gré, un risque important demeure. Avant la soi-disant mort par compassion, on ne peut imaginer dire à la personne inapte qu’on est sur le point de lui injecter un « médicament » fatal. Prenons pleinement conscience de l’impact sur les équipes soignantes qui administreraient l’AMM en ces circonstances. Jamais un consentement par anticipation ne devrait légitimer un tel geste.
Voilà pourquoi des spécialistes internationaux comme le Dr Raphael Cohen-Almagor, habituellement favorable à l’aide médicale à mourir, trace une ligne à ne pas franchir. Une société comme la nôtre ne devrait jamais donner la mort à des personnes inaptes, peu importe les circonstances.
En cette Journée internationale de l’Alzheimer, l’une des plus grandes organisations étudiant la maladie, Alzheimer’s Disease International (ADI), publie son rapport mondial 2022. Que dit-on à propos de l’euthanasie (le terme international pour désigner l’AMM) pour des personnes démentes inaptes et conscientes ayant consenti par le passé? Que le modèle hollandais (le seul pays au monde à l’offrir) n’est pas une piste à privilégier. Rappelons d’ailleurs qu’une partie de la population générale et des soignants de ce pays sont en désaccord avec cette pratique. De plus, l’expert invité pour rédiger ce chapitre est un gériatre québécois, le Dr Félix Pageau (en page 186 du rapport mondial 2002 de l’ADI publié ce matin).
Considérant l’expertise internationalement reconnue du Dr Pageau, il est ironique qu’il n’ait pas été invité à témoigner lors de la seule journée d’audience prévue pour entendre les réactions d’experts au projet de loi 38. En fait, aucune voix opposée à l’AMM par demande anticipée pour des personnes inaptes n’a été entendue dans cet examen. Espérons que ce ne sera pas le cas à l’avenir.
De nombreuses questions en suspens méritent l’attention des candidats
Faut-il considérer l’adoption d’une version similaire au projet de loi 38 comme un fait accompli? Ce serait un net déficit démocratique que d’éviter les questions soulevées par ce projet de loi et de l’adopter rapidement dans la foulée des élections.
On entend beaucoup dans la campagne actuelle, l’importance de protéger les aînés vulnérables des mauvais traitements passés. Or, on semble oublier que l’AMM en démence avancée encourage plusieurs formes de discriminations.
Nous espérons que les partis en lice et leurs candidats s’exprimeront avant la fin de la campagne, non seulement sur les questions propres à l’AMM par demande anticipée et à son application, mais aussi sur d’autres composantes du projet de loi qui n’ont certainement pas fait l’objet d’un débat public.
Deux questions très concrètes :
Désirez-vous vraiment forcer les maisons de soins palliatifs à offrir l’aide médicale à mourir? Que l’on soit pour ou contre l’offre dans ces lieux (une majorité d’entre eux choisissent maintenant de l’offrir), cela demeure toujours contre-productif d’imposer un geste d’une telle magnitude dans des maisons dont la mission première demeurera toujours l’accompagnement palliatif jusqu’à la mort naturelle.
Désirez-vous que les troubles neuromoteurs soient étudiés dans le prochain projet de loi sur l’AMM? Le handicap comme critère d’accès à l’aide médicale à mourir n’a jamais fait l’objet de débats parlementaires au Québec. Malgré l’opposition des associations nationales de défense des droits des personnes handicapées (des exemples ici et ici), la loi fédérale C-7 (mars 2021) tient compte de ce critère en certaines circonstances, mais il ne bénéficie pas d’encadrement dans la loi québécoise. Une vision discriminatoire de la situation d’handicap sous-tend cette vision. Le handicap seul serait suffisant pour vouloir mourir. Ce qui est inacceptable dans une démocratie libérale qui protège les plus vulnérables à la discrimination, tout comme ceux qui ont une démence.
En terminant, et bien que la question n’ait pas encore été abordée au Québec, il faudrait jouer à l’autruche pour refuser de constater la médiatisation nationale et internationale (dont un article d’Associated Press intitulé « Troublant »: Des experts inquiets des lois canadiennes sur l’euthanasie) de plusieurs cas d’AMM au pays, des cas qui remettent en question les récents élargissements de l’accès à l’AMM. Avant d’en envisager de nouveaux, ayons le courage et l’honnêteté d’en débattre publiquement d’ici les élections du 3 octobre et par la suite.
M. Alex King
Président, Réseau citoyen Vivre dans la Dignité
Dre Catherine Ferrier
Présidente, Collectif des médecins contre l’euthanasie
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