Après les dépôts successifs du rapport du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir AMAD à Ottawa (avant-hier) et du projet de loi 11 à Québec (hier), le réseau citoyen Vivre dans la Dignité et le Collectif des médecins contre l’euthanasie tiennent à mettre en lumière de nombreuses problématiques inhérentes aux propositions d’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir maintenant sur la table au pays. Les deux organismes soumettront évidemment des mémoires dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi 11 et souhaitent témoigner à cette occasion.
Dénominateur commun :
le mirage des demandes anticipées
Tant à Québec qu’à Ottawa, on propose d’offrir l’AMM par le biais de demandes anticipées à des personnes devenues inaptes.
Québec (projet de loi 11):
Le projet de loi permet aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins de formuler une demande anticipée d’aide médicale à mourir afin qu’elles puissent bénéficier de cette aide une fois devenues inaptes.
Ottawa (recommandation 21 du rapport AMAD) :
Que le gouvernement du Canada modifie le Code criminel pour permettre les demandes anticipées à la suite d’un diagnostic de problème de santé, de maladie ou de trouble grave et incurable menant à l’incapacité.
Un seul autre pays au monde donne la mort à des personnes inaptes toujours conscientes, les Pays-Bas. Nous faisons nôtres les propos de M. Trudo Lemmens, professeur de droit et titulaire de la chaire Scholl en droit et politique de la santé de l’Université de Toronto, dans son mémoire présenté au comité AMAD qui illustre bien le mirage des demandes anticipées
(une lecture essentielle) :
Les demandes anticipées d’AMM soulèvent également des préoccupations insurmontables sur le plan de l’éthique et des droits de la personne. Les deux exemples donnés ci-dessous en rendent compte. D’abord, la Belgique autorise les demandes anticipées d’AMM uniquement lorsque les personnes concernées sont inconscientes pour de bon, afin d’éviter d’euthanasier des personnes qui profitent encore de la vie et pourraient résister. De leur côté, les Pays-Bas ont initialement eu de la difficulté à gérer l’AMM fondée sur des demandes anticipées, car on considérait qu’il était impossible de défendre cette pratique fondée sur le fait que des personnes endurent des « souffrances inhumaines », alors qu’elles ne sont plus en mesure de confirmer cet état. Les Pays-Bas autorisent désormais cette pratique, même lorsque la personne semble résister.
Les soins des troubles neurocognitifs majeurs et les soins gériatriques font de grandes avancées chaque année. Nous devrions investir massivement pour accompagner ces personnes et rassurer la population : une vie digne aux stades avancés de l’Alzheimer ou d’une autre maladie neurodégénérative est possible! Les récits plus difficiles existent, mais ils ne sont pas la norme. Ils tendent même à disparaître complètement avec les soins et l’accompagnement requis.
Québec : le projet de loi 11
La confirmation que l’accès à l’AMM pour troubles mentaux ne soit toujours pas envisagé dans ce projet législatif est une excellente nouvelle. Espérons que ce choix pourra inspirer le reste du Canada.
Deux autres élargissements de l’accès à l’AMM proposées sont toutefois fortement problématiques :
Le handicap
Sans que le texte du projet de loi l’affirme explicitement (seule une mention du retrait du critère de fin de vie est listée), les handicaps neuromoteurs graves donneraient dorénavant accès à l’AMM. Les députés siégeant à la Commission parlementaire qui étudiera le projet de loi devront s’attendre à une forte réaction des groupes représentant les personnes handicapées. Déjà, la Regroupement des activistes pour l'inclusion au Québec (RAPLIQ) a qualifié cet élargissement de « très dangereux ».
L’obligation imposée aux maisons de soins de palliatifs d’offrir
l’aide médicale à mourir
Selon l’Alliance des maisons de soins palliatifs du Québec, 25 des 35 maisons offrent l’aide médicale à mourir (quatre autres seraient en voie de le faire, une autre est en réflexion). Dans ce contexte, obliger des milieux de soins palliatifs à offrir l’AMM par le biais d’une loi contraignante parait tout à fait disproportionné. Rappelons que ces milieux dédiés à la culture palliative ne seront jamais au départ des destinations pour obtenir l’AMM, même si la majorité des maisons l’offrent maintenant lorsqu’un patient change d’avis. Le durcissement du projet de loi (absence d’exceptions, contrairement à la version précédente) est incompréhensible et le Québec devrait respecter le fait qu’un petit groupe de maisons préfèrent n’offrir que des soins palliatifs, cœur de leur œuvre. À titre indicatif, ce mémoire préparé pour l’étude de la loi précédente par la Maison Victor-Gadbois présente bien les enjeux d’une maison de soins palliatifs.
Rappelons que l’accès à l’AMM n’est pas un problème au Québec. Par contre, l’accès à des soins palliatifs de qualité dans le milieu de vie du choix du patient mériterait une grande amélioration : les besoins sont criants.
Cette page du site internet de l’Assemblée nationale du Québec permet de lire le projet de loi et de le commenter:
https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-11-43-1.html.
Le réseau citoyen Vivre dans la Dignité et le Collectif des médecins contre l’euthanasie invitent la population à participer fortement à cette consultation.
Ottawa : le rapport de comité AMAD
La lecture des 23 recommandations du rapport du comité nous permet d’entrevoir de nouveaux élargissements de l’AMM au niveau fédéral.
La 16e est la plus troublante :
Recommandation 16
Que le gouvernement du Canada modifie les critères d’admissibilité à l’AMM établis dans le Code criminel pour inclure les mineurs réputés avoir la capacité de décision requise après évaluation.
On n’y retrouve pas de limite d’âge, seulement la « capacité de décision ». Alors qu’un jeune ne pourrait voter ou acheter un billet de loterie, il pourrait avoir accès à l’AMM si la mort naturelle est raisonnablement prévisible.
L’accès à l’AMM lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué est toujours au menu, fort malheureusement. Il deviendra possible le 17 mars 2024 si le projet fédéral C-39 est adopté.
Il faut prêter une attention particulière aux recommandations 11 et 12 au moment où les élus québécois s’apprêtent à débattre de la question de l’AMM et du handicap dans le cadre du projet de loi 11:
Recommandation 11
Que le gouvernement du Canada examine, par l’entremise du ministère de la Justice, et en consultation avec des organismes représentant les personnes handicapées, la possibilité d’apporter d’éventuelles modifications au Code criminel, afin de permettre d’éviter toute stigmatisation des personnes handicapées sans pour autant les priver de l’accès à l’AMM. Les options devraient inclure le remplacement des références au « handicap » au paragraphe 241.2(2) du Code criminel, en portant attention aux ramifications juridiques potentielles d'une telle modification à travers le Canada.
Recommandation 12
Que le gouvernement du Canada réunisse un groupe d’experts chargé d’étudier les besoins des personnes handicapées en ce qui concerne l’AMM et d’en faire rapport, à l’instar du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale.
Voilà beaucoup de travail à l’horizon, car les groupes représentant les personnes vivant avec un handicap au pays sont très mécontents des effets de l’accès à l’aide médicale à mourir depuis que la voie 2 est accessible (pour les personnes dont la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible) depuis l’adoption de la loi C-7, en 2019. Pour Inclusion Canada, « Le rapport final du Comité est un désastre discriminatoire ». Leur communiqué d’hier et leur émouvante vidéo permettent de constater les dérives évidentes du système en place : https://youtu.be/tDaUuXwAtIw.
Des propos qui trouvent écho dans le rapport dissident du comité spécial.
Note : Vivre dans la Dignité a indexé sur cette page tous les témoignages exprimant des réticences ou des oppositions face aux thématiques explorées durant les travaux du comité AMAD. Des témoins qui démontrent bien la grande diversité et l’expertise des groupes et individus questionnant les mérites de l’élargissement de l’accès à l’AMM.
Deux observations en conclusion
Radio-Canada confirmait hier que plus de 7 % des décès découlent de l’aide médicale à mourir au Québec : « Le Québec figure maintenant largement devant les Pays-Bas et la Belgique en ce qui a trait au recours à l’aide médicale à mourir ». L’article confirmait que la Commission des soins de fin de vie a lancé une consultation pour comprendre le phénomène. Elle ne devrait toutefois pas être limitée aux médecins qui procurent l’AMM. Une approche multidisciplinaire doit être mise de l'avant dès que possible. Une autre question saute aux yeux: ne devrions-nous pas attendre les fruits de cette consultation avant de nous lancer dans l'examen d'un nouveau projet de loi étendant l’accès à l’AMM?
Les points de vue d’autres nations nous invitent aussi à réfléchir à l’adoption très rapide de l’AMM au Québec. En plein débat français sur l’ « aide active à mourir », 13 organisations représentant 800 000 soignants publiaient hier un avis sur la potentielle légalisation de l’euthanasie. Elles affirment que cette pratique « ne peut en aucune manière relever du soin et alertent le législateur sur les risques pour les personnes vulnérables ». Un rappel pertinent pour le Québec et le Canada.
https://sfap.org/system/files/avis_ethique_commun_-_160223.pdf
|