Un choix clair

La guérison est un miracle de la nature, tout comme la germination d’une graine. Mais ces miracles ne s’accomplissent que dans un environnement propice. La graine aura besoin de terre et d’eau, de chaleur et de lumière. La guérison nécessitera la protection de la fragile flamme de la vie grâce à la manipulation des équilibres chimiques ; à l’alimentation et à l’oxygénation artificielles; à la réplication complète de la fonctionnalité d’organes.

La guérison est parfois totale ; une fois la crise passée aucun soutien supplémentaire n’est requis. Souvent par contre, la survie ne sera plus jamais possible sans un minimum de modifications délibérément apportées à l’environnement. Et dans ce cas, c’est la survie elle-même qui devient le miracle : une graine, destinée à flétrir et disparaître, parvient à pousser et même à s’épanouir dans des conditions soigneusement contrôlées.

Mais les patients humains ne sont pas comme les autres organismes vivants. Leur vie a besoin de plus qu’un support physique. Il leur faut aussi une volonté de vivre. Or, cette volonté est aussi une flamme fragile qu’il faut protéger. De plus, il ne suffit pas que les soins soient prodigués de façon mécanique; il faut y mettre du cœur.

Dans les meilleures des circonstances, la détresse intense du patient rencontre la calme certitude du soignant. Pour commencer, le préposé qui fournit les soins de base – changer le lit, laver et repositionner le patient – pose ces gestes en cherchant à minimiser l’inconfort tout en s’acquittant scrupuleusement de sa tâche. L’interaction est nécessairement de nature très intime, mais le soignant n’a pas (ou du moins ne laisse pas paraître) le moindre sentiment d’aversion qui puisse être interprété comme un rejet de la personne qu’il soigne.  Alors que le patient se regarde peut-être avec peur, avec honte ou avec dégoût, pensant même provoquer ces sentiments chez les autres, il doit percevoir chez le soignant expérimenté une acceptation fondée sur un principe familier aux professionnels de la santé (et qu’on ne retrouve pas toujours ailleurs) : le niveau de dépendance, les capacités et le pronostic médical ne changent rien au fait que toutes les vies humaines ont une valeur égale.

Il serait réconfortant de croire qu’une telle attitude est tout naturellement propre au caractère de certains individus, et c’est parfois vrai. Mais pour la plupart des gens adhérer à l’idéal du Serment d’Hippocrate est un choix délibéré. Convaincus en principe et forts de notre expérience, nous devenons capables d’une communication honnête, respectueuse, et même aisée, avec des personnes qui se trouvent dans des états physiques et émotionnels inconfortables non seulement pour l’ensemble de la société, mais même pour leurs proches. C’est ainsi que, dans le meilleur des mondes, en réponse aux besoins d’un semblable, l’équipe thérapeutique apprend à bien soigner toute personne :  avec confiance, avec acceptation, avec expérience, avec compréhension, avec patience et — si j’ose utiliser ce mot– avec amour.

Voilà le terreau fertile d’où peut ressurgir la vie. Voilà le meilleur environnement d’où peuvent jaillir des miracles de guérison et de survie. Et voilà même le meilleur environnement pour mourir. C’est ce type de pratique médicale qu’ont choisi les médecins fidèles au Serment d’Hippocrate. C’est à cet idéal qu’ils aspirent.

En toute justice, précisons que le praticien de l’euthanasie fait aussi un choix. Il choisit de s’investir dans une vision très différente de la réalité où certaines vies ne méritent plus d’être protégées. Il est sincèrement convaincu de son point de vue, au point d’être confortable avec l’idée de mettre personnellement un terme à de telles vies par injection létale. Ce médecin ne peut bien sûr agir que dans le cadre légal du moment, ce qui, croyons-nous, le place en situation sérieuse de conflit professionnel.

Pour l’instant (et probablement pour quelques temps encore) la loi canadienne exige que l’euthanasie soit une mort strictement volontaire. Pourtant, la vaste majorité des gens ne consentiront jamais à mourir volontairement. Cela veut dire qu’un praticien de l’euthanasie honnête se trouvera immanquablement en désaccord avec de nombreux patients quant à la valeur de leur vie.

Se pose alors la question de savoir ce qu’il adviendra des patients qui se qualifient pour l’euthanasie mais qui persistent dans leur désir de vivre. Traités par de tels médecins, quelle chance auront-ils de bénéficier de soins de compassion offerts dans le ‘terrain fertile’ dont nous parlions plus haut?  Poser la question, c’est y répondre… Est-il possible qu’un médecin pro-euthanasie agisse de deux façons diamétralement opposées selon qu’il traite deux patients présentant des symptômes et un pronostic quasi identiques? En tout respect, cela semble absurde.
En somme, l’euthanasie et la médecine hippocratique ne sont-ils pas des services parfaitement distincts qui s’excluent mutuellement? Et ne serait-il pas logique qu’ils soient offerts par des personnes différentes et dans des endroits différents?

La majorité de nos patients sont non suicidaires. Il serait donc normal que toutes nos institutions médicales se consacrent aux soins hippocratiques. La demande plus limitée de la minorité suicidaire (maintenant protégée par la loi) peut être pleinement satisfaite par un service public d’information et de référence, secondé par un nombre limité mais suffisant de professionnels participants.

Ainsi seulement pouvons-nous remplir notre mission première en tant que médecin. Ainsi seulement nos patients peuvent-ils espérer recevoir les soins et le soutien qu’ils désirent et méritent. Ainsi seulement pouvons-nous continuer à cultiver notre jardin de guérison et de vie, dans un terreau thérapeutique protégé, au moins en partie, des mauvaises herbes existentielles du suicide et du désespoir.

Rendons l’euthanasie impensable.

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